XXI Sida : Le Big Buzz
Ceux qui, comme moi, ont grandi dans les années quatre-vingt-quatre-vingt-dix se souviennent de l’omniprésence lugubre du sida dans l’espace public. Ils se souviennent des campagnes d’information et de prévention à répétition (confiées à des publicitaires), toutes plus sinistres les unes que les autres. Ils se souviennent des reportages en boucle, des opérations rubans rouges, des affaires politiques (« responsable mais pas coupable »), des personnalités de la chanson et du cinéma mobilisées en permanence, des récits autobiographiques en vente dans les librairies, des associations de lutte contre le sida devenues de puissants groupes de pression. Ils se souviennent de l’installation de distributeurs de préservatifs dans les stations de métro, les pharmacies, les établissements scolaires : dans mon lycée, nous eûmes le droit de voter sur le sujet, c’était un véritable référendum populaire et le résultat fut des plus spectaculaires, un raz-de-marée. Ils se souviennent des cours scolaires sur le sujet et des intervenants extérieurs dans les établissements. Comment pourrait-on oublier un tel matraquage médiatico-institutionnel ?
1/ Les chiffres
Les citations et chiffres qui suivent sont tirés de l’édition 1996 du Que sais-je ? sur le sida. Des chiffres relativement anciens, donc, mais qui correspondent à l’acmé du buzz dans le temps.
« En France, en treize ans, 17 340 personnes sont mortes du S.I.D.A. » (p. 22) « Ces deux groupes [« la population homosexuelle masculine et toxicomane »] fournissent à la maladie 79,3 % des victimes » (p. 24). Un tableau en p. 13 précise cette répartition : 39,7 % des personnes malades ont été contaminées au cours d’un rapport homosexuel, 11,8 % au cours d’un rapport hétérosexuel. Les autres victimes sont des toxicomanes (37,7 %), contaminées par échange de seringues, ainsi que des hémophiles, et autres, contaminés par transfusion sanguine.
Ainsi, sur ces 17 340 décès en treize ans, 6 884 ont été contaminées au cours d’un rapport homosexuel, 2 046 au cours d’un rapport hétérosexuel, soit 8 930 au cours d’un rapport sexuel, homosexuel ou hétérosexuel.
Si 6 884 personnes en treize ans sont décédées du sida à la suite d’une contamination au cours d’un rapport homosexuel, cela fait en moyenne 530 décès par an. Pour les hétérosexuels, cela fait 157 décès par an. Pour les deux pris ensemble, 687 décès par an.
À titre de comparaison, le nombre moyen de morts sur la route en France pour les années 1986-1995, était de 8 600 par an (source Wikipédia). Le nombre de décès par cancer était en 2012 de 148 000 en France (source : Unicancer).
Ainsi, un Français, toutes orientations sexuelles confondues, avait, à cette époque de buzz intense sur le sida et le préservatif, 12,5 plus de chances de mourir d’un accident de la route que d’un sida contracté à la suite d’un rapport sexuel (8 600 décès annuels contre 687 décès annuels), et 215 fois plus de chances de mourir d’un cancer (142 000 décès annuels contre 687 décès annuels).
Or ces chiffres indiquent que les homosexuels sont nettement plus exposés. Affinons l’analyse en ce qui concerne les personnes hétérosexuelles, que j’évaluerai ici à 95 % de la population française. (Certaines associations LGBT estiment à 10 % le nombre de personnes homosexuelles. Une enquête publique réalisée en Grande-Bretagne en 2010 donne un chiffre de 1 %. Les analystes ont l’habitude de couper la poire en deux : un chiffre de 4 ou 5 % est parfois avancé.) Les données précédentes concernent les rapports homosexuels masculins (le premier nom donné au S.I.D.A. était G.R.I.D., Gay Related Immuned Deficiency). Si l’on suppose une proportion égale de gays et de lesbiennes, les 6 884 décès ont ainsi frappé un groupe représentant 2,5 % de la population. Ce qui fait qu’un homosexuel a 128 fois plus de chances de mourir du sida qu’un hétérosexuel.
Avec 2 046 décès en treize ans, soit 157 décès par an, un hétérosexuel, c’est-à-dire un individu appartenant à la majorité des 95 % de la population exposée au buzz, avait 55 fois plus de chances de mourir d’un accident de la route que d’un sida contracté au cours d’un rapport sexuel, et 943 fois plus de chances de mourir d’un cancer. Or le buzz sur le sida était peut-être 55 fois plus intense et systématique que le message de la prévention routière à cette époque, et bien plus intense et systématique également que le message de lutte contre le cancer. Pourquoi ?
Une estimation de services statistiques français avançait le nombre de 160 000 toxicomanes (héroïnomanes) en 1993, soit 0,0025 % de la population. Ces 0,0025 % fournissent 37,7 % des victimes du sida (cf. supra). Sur 17 340 morts, 6 537 étaient toxicomanes (4,1 % des 160 000 toxicomanes, un toxicomane sur vingt-cinq). Un toxicomane a 950 fois plus de chances de mourir du sida qu’un homosexuel non toxicomane, et 137 680 fois plus qu’un hétérosexuel non toxicomane.
En résumé, si nous éliminons les cas de contamination par transfusion, près de 90 % des cas de sida sont recensés au sein de deux groupes, les gays et les toxicomanes par injection, qui représentent à eux deux quelque 2 ou 3 % de la population, avec une énorme représentation pondérée des toxicomanes, c’est-à-dire de personnes contaminées par des seringues.
Les assassinats sont également un facteur non négligeable d’anxiété, davantage, semble-t-il, que les accidents de la route ou le cancer. D’après les informations recueillies sur internet, le nombre moyen d’assassinats en France sur la période 1985-1995 était « supérieur à 1 600 » par an (ils ont nettement diminué ensuite, autour de 1 000 sur la période 1995-2005). Rapportés à 1 600 homicides, les 157 décès annuels dus à un sida hétérosexuel sur la même période sont dans un rapport d’un à dix. Ainsi, un hétérosexuel non toxicomane avait, à l’époque du big buzz, dix fois de plus de chances de mourir assassiné que de mourir du sida.
2 / Le préservatif
Nous avons donc, dans ces années-là, un Juggernaut médiatico-institutionnel lancé sur la population en vue de l’informer de l’existence d’une épidémie, d’une MST (maladie sexuellement transmissible) extrêmement invalidante, mortelle, et contre laquelle il n’y a ni vaccin ni traitement. Il existe un seul moyen de prévention : le préservatif, dont les ventes ont alors bénéficié d’une colossale promotion publique, mais qui, contre toute attente, n’est pas remboursé par la Sécurité sociale.
Voici ce que le Que sais-je ? (1996) indique au sujet du préservatif : « De nombreuses études in vitro soulignent l’imperméabilité du latex des préservatifs au V.I.H. Il faut cependant connaître l’inégalité des différentes marques de préservatifs, la possibilité de détérioration après fabrication, l’effet délétère des lubrifiants huileux, mais aussi du temps (perméabilité du caoutchouc par hydratation au bout de quatre heures) et surtout des étirements mécaniques (perméabilité au bout d’une vingtaine d’étirements) sans qu’aucune lésion macroscopique ne soit en évidence. En outre, les ruptures de préservatifs sont loin d’être exceptionnelles (rapportées par 30 % environ d’homosexuels au cours des rapports rectaux). » (p. 96) C’est donc là le préventif miracle qui doit sauver l’Amour. Avec un tel remède, je ne vois pas comment les gens feraient autrement, sous l’effet d’un buzz si violent, que de se mettre à pratiquer le puritanisme. Dans une société héritière de la « révolution sexuelle » des années soixante-soixante-dix.
3 / Conclusion
Les médias se sont emparés d’un sujet jugé « chaud », en raison de l’anxiété, et donc de l’attention, qu’il susciterait, et en ont saturé le corps social. Afin de ne pas « stigmatiser » une minorité, en l’occurrence la communauté gay, mais aussi sans doute afin de maintenir un niveau d’anxiété, et donc d’attention, élevé, ils ont produit un message simpliste à destination de l’ensemble du corps social, alors même que la majorité hétérosexuelle est de très loin la moins concernée – voire qu’elle est à peine concernée. Un mouvement d’opinion a de la sorte été créé. Les politiques, dont l’action se détermine facilement en fonction de l’état de l’opinion, ont suivi, et par conséquent les institutions également. Les jeunes ont grandi dans un tel environnement. Les notions du plus grand nombre étaient faussées.
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