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Plus Ultra : La poésie d’Antonio de Zayas
Plus Ultra, « Plus loin », est la devise de l’Espagne, adoptée par l’empereur Charles-Quint au début du 16e siècle. Le poète Antonio de Zayas (1871-1945), dont nous avons déjà traduit un sonnet ici, en fit le titre de l’un de ses recueils, publié en 1924.
Antonio de Zayas y Beaumont, duc d’Amalfi (le duché espagnol d’Amalfi, du nom de la cité italienne, ne se rattache à aucune terre depuis que ces possessions des Habsbourg d’Espagne en Italie ne sont plus espagnoles), est un poète du modernisme, très lié aux frères Manuel et Antonio Machado. Parmi ses autres amis, on retiendra également le poète Francisco Villaespesa que les habitués de ce blog connaissent bien (après six billets de traductions) et qui a dressé de Zayas un portrait poétique : « émailleur de lyriques joyaux / que Benvenuto lui-même eût envié… » (esmaltador de líricos joyeles / que el mismo Benvenuto envidiaría…).
L’œuvre du Français d’origine cubaine-espagnole (Cuba fut espagnole jusqu’en 1898) José-Maria de Heredia (1842-1905), un maître de la poésie parnassienne de langue française, marqua fortement Zayas, qui la traduisit en vers castillans. Sa version des Trophées, du Romancero et des Conquérants de l’or parut en 1909. De plus en plus nationaliste au cours de son évolution intellectuelle, Zayas, en traduisant Heredia, affirmait ne pas se placer sous influence étrangère. On peut difficilement nier que l’inspiration de Heredia se portât beaucoup vers le monde hispanique.
Ambassadeur de carrière, Antonio de Zayas a nourri sa poésie de ses voyages, dans une veine impersonnelle, parnassienne, comparable à celle du poète français traduit par ses soins. Son recueil Plus Ultra fut écrit alors qu’il se trouvait au Mexique ; c’est une évocation de ce pays ainsi que de la Conquête espagnole en Amérique.
Les sources dont nous nous sommes servi pour nos traductions sont (1) une anthologie poétique, Obra poética, publiée par la Fundación José Manuel Lara en 2005, ainsi que (2) le recueil Plus Ultra susnommé.
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Joyaux byzantins
(Joyeles bizantinos, 1902)
.
Le pont des soupirs (El puente de los suspiros)
Sur le canal d’argent que l’air doucement frise
et qui baigne les colonnades aux arches byzantines,
devant le temple d’or de Saint-Marc,
au rythme de sa rame glisse la gondole.
Sur les vieilles corniches des graves palais
où résidèrent les Doges émules des Califes
les étoiles répandent leurs scintillantes splendeurs
et les oiseaux suspendent leurs nids de cendre.
La nuit se pare de velours et pierreries ;
les tournoiements versatiles de la brise diffusent
les harmonies tamisées de la sereine mandoline ;
un parfum de rêve engourdit les lieux,
et passant sous le pont fatidique
dans sa voûte on entend des soupirs angoissés.
*
La mer Égée (El mar egeo)
Le ciel pâlit, quand sur la mer calme
se réfléchit la lune, toutes couleurs s’estompent,
et comme une corbeille de fleurs fanées
apparaît la patrie de la Vénus de Milo.
Les belles sérénades qu’écrivent avec leurs queues
dans le cristal diaphane d’invisibles Néréides
arrachent aux rires bleus des vagues
un écho comme d’Iliades et d’Énéides.
Le vaisseau va rapide aux baisers du couchant
tandis que la nuit efface le sommet du Parnasse
montrant au loin ses confuses beautés.
Dans les voiles gonflées gémit la brise légère
et, par le luth sublime du rêve évoquées,
de l’onde émergent les âmes des Muses.
*
La Propontide (La Propóntida)
Les brises, soupirant des sifflements de serpents,
glissent le long de la côte cristalline de Stamboul
et caressent les visages de gigantesques pierres taillées
qui furent hier des murailles, à présent glorieuses ruines.
Avec un roucoulement monotone, en tremblant elles sanglotent
dans les brunes tuniques de jardins oubliés ;
et s’occultant par intervalles batifolent tumultueuses,
face aux plages, des pléiades de voraces dauphins.
Alors, quand la lune scintille sur la mer Propontide
et qu’un vaisseau s’annonce de sa voile blanche,
le silence murmure le monologue du souvenir ;
et sur le dos diaphane du cheval du vent,
au-dessus des eaux traîne sa sanglante hermine
l’ombre invengée du dernier Paléologue.
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Bechiktasch (Bechik-Tach)
Ndt. Bechiktasch, en turc Beşiktaş, est un quartier d’Istanbul situé sur le Bosphore.
L’avenue silencieuse du solitaire Bechik
festonne du Bosphore les limites ombreuses,
bordée de portes de yalis et de jardins
qui murmurent dans le soir une rumeur de prière.
Inondant le paysage de couleurs prodigieuses
et tapissant d’émeraudes les prés riants,
le soleil brode avec de vagues filigranes d’ombre
de gris liserés de dentelle sur la route blanche.
En groupes bigarrés, les femmes voilées,
oubliant les morosités et les plaisirs du harem
se promènent assises dans un lent tramway ;
tandis que, tout sourire, un eunuque éthiopien
regarde le jeune homme qui lance au galop
la joie pleine de grâce de son coursier arabe.
*
Narguilé (Narghilé)
Le fumeur en vagues réflexions s’abîme
dans un café du port, regardant le soleil couchant
décomposer dans le cristal du narguilé limpide,
en disparaissant, les polychromes nuances du prisme.
Un blanc turban ourle son fez aux teintes rouges
et, parmi l’épaisse fumée du tombéki,
comment savoir ce qu’il sent, présumer ses pensées
dans les troubles pupilles de ses yeux ?
Est-ce un satellite de la Jeune-Turquie,
un ouléma fanatique ou bien un vil espion
qu’avec prodigalité stipendie le Trésor impérial ?
Savoure-t-il de doux rêves ou l’ennui le rend-il amer ?
Lui-même ne le sait pas : et seul au milieu des gens
il célèbre son quotidien colloque avec la fumée.
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Le tombeau d’Alexandre (El sepulcro de Alejandro)
Jamais les paladins que commanda Lysandre
aux accords belliqueux des sonores clairons
ne se virent célébrés en marbres pentéliques
comme le furent les intrépides satellites d’Alexandre.
Sur la tombe du héros, d’anonymes ministres
du burin sculptèrent les rapides phalanges
qui marchèrent en triomphe du Bosphore jusqu’au Gange
au son cadencé des sistres laudateurs.
Mais le temps inexorable a défraîchi les polychromes
nuances qui ornaient aux temps heureux
la demeure funèbre de l’Arès macédonien ;
et d’elle ne reste aujourd’hui que des statues mutilées
qui de la vie éphémère et ses vaines pompes
portent à la postérité le témoignage solennel.
*
Le palais de Beylerbey (El palacio de Beylerbey)
Sur la côte où passa Darius Hystaspès,
espace cristallin du Bosphore de Thrace,
somnole le palais d’été de Beylerbey
aux porphyres veinés et jaspes rutilants.
Des chapiteaux corinthiens surmontent ses colonnes ;
ses balustres reposent sur des corniches ioniennes,
et les brises légères parviennent jusqu’à ses salons
à travers de labyrinthiques dessins de cèdre.
Les danses arabiques et les élégances hellènes
étaient là saturées des parfums que répandent
l’œillet pourpre et le magnolia de neige ;
aujourd’hui, éteint le crépitement des fêtes bachiques,
le vent, évocateur décrépit des vieilles gloires,
descend des vertes collines d’Anatolie.
*
Paysages
(Paisajes, 1903)
.
Le rocher des amoureux (La peña de los enamorados)
Ndt. Paysage andalou. Il s’agit d’un toponyme de la province de Malaga.
Tête de gisant
ayant pour verte sépulture
une vallée paisible, repose
sous le cloître d’azur le haut rocher.
Son dur et rugueux
épiderme couleur de violette
conserve prisonniers
des souvenirs d’amours fatales.
Ses lignes sévères accablent
l’âme triste ;
il semble regarder et parler,
sans yeux ni langue.
Les mauresques rocs marmoréens
au clair de lune paraissent
les dos aux blanches toisons
de dociles brebis.
Entourés d’ombre,
les froids troupeaux de pierre
compriment l’âme
et réveillent le songe.
Et l’esprit exalté, confus,
admiratif est traversé par
des amours de Zaïdes sévères,
des fiertés de hautaines Zulémas,
des accords d’harmonieuses douçaines,
des tonnerres de trompes guerrières.
Ce sont des astres clairs
dans la nuit fiévreuse du Poète !
Et de sa Muse
les uniques fêtes sont
les vagues bleues du rêve
qui donnent répit aux chagrins profonds !
Moments d’oubli
de l’âme qui pense !
*
Reliques
(Reliquias, 1910)
.
Prologue I (Prólogo I)
Espagnol et chrétien, par la Foi riche,
jamais je n’offusque mes yeux à scruter l’avenir
ni ne cherche à goûter les dépravations,
ni n’alambique en paroles des paradoxes.
Je m’applique à damasser l’or et l’acier,
un dire noble en un sentiment ardent.
Il fermente aussi dans le creuset étrusque,
l’hydromel des hordes d’Alaric !
Crinière flottante, tête impavide,
orgueilleux galope mon Pégase
sous le soleil des champs de Castille.
Plaise à Dieu qu’en mes vers la beauté
brille comme dans le verre de cristal
l’ambre luit des ceps de Montilla !
*
Plus Ultra, 1924
.
Vasco Núñez de Balboa
Ndt. Conquistador espagnol qui traversa l’isthme de Panama et fut le premier Européen à voir l’océan Pacifique. Voyez Les Conquérants de l’or de José-Maria de Heredia : « Et quand Vasco Nuñez eut payé de sa tête / L’orgueil d’avoir tenté cette grande conquête… »
La « malheureuse princesse » dont il est question à la quinzième strophe est Jeanne la Folle (Juana la Loca), fille de Ferdinand et d’Isabelle, et mère de Charles Quint, très éprise et jalouse de son mari, Philippe de Habsbourg, et très affectée par la mort de ce dernier en 1506. Les « couronnes », au pluriel, sont celles de Castille et d’Aragon.
La fin du poème évoque le Canal de Panama (« l’Isthme brisé par Mercure »), inauguré en 1914.
En une province de chênes vermeils
donnant un fruit amer, une écorce utile,
avait ses nobles quoique pauvres lares
ce capitaine au courage insolite
qui, au mépris des dangers de la mer
et en lutte contre une nature hostile,
planta sur le rivage d’un océan inconnu
les étendards royaux de la Castille.
De teint brun, les yeux pénétrants,
le sourire à la fois affable et dédaigneux,
le visage trahissant la volonté
de commandement dont déborde son esprit,
le regard perdu sur les chaumes
dans la caligineuse lumière du soir,
rêvant de gloire et de liberté,
Vasco franchit le seuil de sa vieille demeure.
Défraîchi le velours de son tabard,
Oxydés les ergots de ses éperons,
il confie son avenir à la lente
voilure d’une intrépide caravelle.
Et comme s’il était misérable bâtard
ayant perdu tout espoir d’une part d’héritage,
il part affronter les chocs de la fortune
sans autre défense que l’estoc paternel.
Esprit fertile, volonté forgée
par le marteau d’une jeunesse pauvre,
avec l’humeur joyeuse d’un bon camarade
aplanissant les difficultés, le caudillo
escalade des rocs, nage dans des marécages,
décharge son arquebuse, ébrèche son couteau,
étanche sa soif à des sources vénéneuses,
s’extirpe des anneaux des serpents.
Il se couche la nuit au flanc de falaises
percées d’antres lugubres,
dort bercé par le rugissement des bêtes
et se réveille mordu par des reptiles.
Hostiles au passage de son armée, il traverse
prairies, fleuves, forêts, cordillères
et creuse à ses acolytes des sépultures
dans la boue des jongles fétides.
Au bord de traîtres sables mouvants,
il forme en cercle les chevaux
dont les sabots et la peau
se gangrènent sur des chemins horribles.
Il contourne d’assourdissantes cascades,
s’enveloppe d’infectes guenilles,
soulage sa faim avec d’âpres racines,
lave ses blessures dans de troubles marais.
Bientôt il contrecarre – le ciel ayant voulu
le prédestiner à cette héroïque entreprise –
les calculs avaricieux d’Enciso
et le funèbre horoscope de Nicuesa.
Et dur à la souffrance, concis dans le commandement,
rapide au combat, circonspect dans l’assaut,
sans trêve il élargit ses horizons,
fendant des rochers, abattant des bois.
Le pied sûr, l’âme impavide,
alerte la nuit, avançant le jour,
avec dans l’âme la foi du Nazaréen
et sur les lèvres le nom de Marie,
il oppose au découragement de ses gens
le mors de son énergie d’airain,
en flattant leurs tympans
d’une source sonore d’où jaillit l’or et la prospérité.
Source illusoire, de bouche en bouche
répétée par cent générations,
poussant à de téméraires exodes
des bandes entières de lions hispaniques.
Source mensongère dont l’eau caresse
des filons mirifiques d’or et de saphirs,
aiguillon d’Alcides et de Persées
d’Europe chargés de trophées.
Mais Dieu ne voulut point punir
cette énorme jactance par l’échec ;
il voulut que le monde gardât pour toujours
la mémoire de l’Espagne aux régions du Ponant.
Et ce fut par un calme soir d’automne
que, ralenti, le pas vacillant,
Vasco vit depuis un sommet escarpé
le soleil plonger dans une mer inconnue.
Immense et vierge mer ceignant
les volcans des îles nippones,
aérant de brises salutaires
l’éden réservé à Magellan,
et louant éternellement les titans
qui écrivirent cette odyssée hispanique
en subjuguant les bourrasques et les bas-fonds
de la quille immortelle de leurs vaisseaux.
En voyant ce panorama superbe,
oubliant les ronces du chemin,
le cœur fort du héros s’enflamme
et d’une foi sublime, tombé à genoux,
il acclame avec ferveur sa Patrie et son Roi,
lançant au ciel des yeux émerveillés.
Car c’est à la grâce de Dieu, non à son propre effort
qu’il attribue ce miracle !
À peine la naissante aurore
a-t-elle revêtu de voiles blancs l’horizon
que l’armée rédemptrice
descend les flancs du mont.
Elle surprend dans les taillis et précipices
une faune rugissante, une flore émolliente,
et va poser le pied sur la mouvante ligne
que dessinent les vagues sur la plage.
Et quand, annonciateur de la nuit obscure,
surgit l’astre du soir, Vasco,
cuirassé son torse herculéen
et son front capable casqué de fer,
résolu brandit de sa main dure
qui abattit plus d’un chêne en son enfance
le drapeau de Castille en entrant jusqu’à la poitrine
dans le lit profond de cette mer nouvelle.
Clamant le nom des trois Personnes
de la Divine Trinité
vers l’immense azur qui sillonne
les différentes zones du globe d’un doux murmure,
il offre sa merveilleuse découverte aux couronnes
posées sur le front de Saint Ferdinand,
alors parure de malheureuse princesse
prise de mal d’amour et langueur.
Donnez la gloire, Seigneur, à l’acharné
capitaine qui dans ses jours précaires
conjura les perfidies et vexations du sort
par des flagellations et des oraisons :
et immolé dans l’ergastule d’Acla
par la couarde jalousie de Pedrarias
a légué à la postérité un nom
qui vivra tant que des hommes vivront.
Donnez-lui aussi de pouvoir, sur l’immense
piton de l’Isthme brisé par Mercure,
voir son effigie copiée sur le chenal
unissant les mers de Valdivia et de Soto :
et donnez aux jeunes peuples de l’Ouest
de faire devant son image le vœu
de semer chez les enfants d’Amérique
l’amour des exploits espagnols.
*
Bernal Díaz del Castillo
Ndt. Conquistador espagnol et chroniqueur de la conquête du Mexique dans son Historia verdadera de la conquista de la Nueva España (Histoire véridique de la Conquête de la Nouvelle-Espagne), qui fut traduite en français par le poète José-Maria de Heredia.
Le « dieu bifront » est Janus, dieu à deux faces, comme la destinée, qui réserve du bon et du mauvais. La « sage industrie de Cadmos » est l’écriture, Cadmos ayant selon la légende introduit l’alphabet en Grèce.
Ce fidèle chroniqueur, cet homme de guerre,
dont l’indocte plume semble un rameau
d’agreste romarin ou de genêt sauvage
d’une colline parfumée par l’air de la montagne :
par l’air montagnard de la terre hispanique
qui convertit en colosse l’enfant le plus chétif,
donne force aux poings, noblesse à la contenance
et bannit de l’âme les passions viles.
Ce soldat audacieux qui sait se servir de son bras,
aiguise son regard et subjugue ses nerfs
dans la guerre contre les superbes caciques aztèques,
que Cortès en de profonds abîmes précipite,
ne récite point en vers les exploits qu’il observe
mais les raconte en prose, écrivant lentement,
sans réminiscences de l’art d’Horace
ni des préceptes du Stagirite.
Familier avec le dieu bifront,
contemplant avec équanimité les revers et les prouesses,
il se consume dans les déserts, se restaure dans les prairies
et voit à chaque aurore un horizon nouveau.
Et se liant d’amitié pour Clio sur les monts,
il arrange ensuite dans la forêt les souvenirs
qui couchés sur le papier le feront rival d’Hérodote
et digne de foi comme Xénophon.
Le concept juste, l’émotion vibrante,
le jugement impartial, le ton modéré,
ses récits libres d’envie et de colère
ont la pureté d’un bleu matin
et coulent diaphanes comme l’eau d’une source
en ruisseaux sur les flancs d’un vallon vert,
imprégnés d’une odeur de romarin,
d’une couleur d’œillet, d’une saveur de pomme.
Sa mémoire claire n’oublie ni ne ment ;
la rudesse même de ses expressions
sait s’emparer des cœurs,
comme jamais ne le fit un discours éloquent.
À la manière d’un homme des champs il dit ce qu’il sent :
à la manière d’un gentilhomme il sent ce qu’il dit,
sans que jamais ne se mêle à ses commentaires
la basse flatterie ni l’insulte malsonnante.
Sa plume conte ce que fit le fer
explorateur obstiné des sylves et marais,
avec la lucidité d’un bon paysan,
la spontanéité d’un bon chevalier.
Et, tête ferme, cœur entier,
disert dans les armes et profane dans les lettres,
il agrémente la vigueur du soldat, la foi du chrétien
des plaisanteries de l’aventurier.
Béni soit cet hidalgo aux vues sagaces,
au tact prodigieux et à l’oreille alerte,
qui par la sage industrie de Cadmos a su
dépeindre la conquête de la Nouvelle-Espagne.
Gloire au bon soldat, honneur au chroniqueur
qui interprète les exploits espagnols
avec l’austérité d’un anachorète
et la certitude d’un évangéliste !
*
Devant le portrait d’une religieuse (Ante el retrato de una monja)
Ndt. La coiffe religieuse de « fleurs tropicales » renvoie à l’art pictural de Nouvelle-Espagne des « religieuses couronnées » (monjas coronadas, voyez le tableau ci-dessous à titre d’exemple) où des religieuses de renom sont représentées avec de grandes couronnes de fleurs.
La nonne dont il est question dans le présent sonnet n’est pas aisée à identifier, pour le profane que nous sommes : il pourrait s’agir de María Luisa de Toledo, fille du marquis de Mancera, vice-roi de Nouvelle-Espagne (cf., dans le poème, « sa mère la Vice-Reine »), mais elle prit le voile à Madrid et internet ne semble pas connaître un portrait d’elle en religieuse couronnée.
Le « Palais du bon repos » est le royal Palacio del Buen Retiro à Madrid.
Pourquoi cette vierge que je vois parée
d’un jardin de fleurs tropicales
a-t-elle adopté cette coiffe
plutôt que la césarienne pourpre de Tyr ?
Pourquoi, si elle sut hier arracher
plus d’un soupir à de noctambules troubadours
ou rendre fous de splendides seigneurs
dans les fêtes du Palais du bon repos,
ne peigne-t-elle plus aujourd’hui les cheveux dorés
qu’auprès de sa mère la Vice-Reine
elle montrait, contour de son teint de rose ?
Parce que Celui de qui vient toute beauté
en hâte est passé par ces bocages†
et lui donnant la main la nomma son épouse !
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† Vers de Saint Jean de la Croix, traduction française par Jacques Ancet.
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Photo : Madre Águeda Bárbara de San José, anonyme, 1765. Source : Banco de la República de Colombia (banrepcultural.org). Ce tableau montre une monja coronada sur son lit de mort mais il existe aussi des portraits vivants, comme celui que décrit Antonio de Zayas.
La tête de Vasco et autres poèmes de Gaspar Octavio Hernández
Le poète afro-panaméen Gaspar Octavio Hernández (1893-1918) est mort à vingt-cinq ans d’hémoptysie. Malgré la brièveté de sa vie et la grande pauvreté de son milieu familial, il laisse une œuvre poétique reconnue.
Il est l’auteur d’un des poèmes les plus marquants de la littérature hispano-américaine, son poème La tête de Vasco, évoquant le conquistador Núñez de Balboa qui traversa les forêts vierges de l’isthme de Panama et fut le premier Européen à voir le Pacifique. Exemple hallucinant de « légende rose » de la Conquête espagnole (par opposition à la beaucoup plus répandue « légende noire »), introduisant le fantastique le plus débridé des Lusiades et de l’Antiquité dans cette évocation historique à visée nationaliste, le poème est entièrement subaquatique et met en scène une tête tranchée, celle du conquistador éponyme, ainsi que des sirènes et monstres marins, tout en donnant une âme à la flore, aux minéraux des fonds océaniques, aux vents, à toute la nature de l’Amérique centrale dans le chœur de cette tragédie. Signe de sa place dans l’imaginaire du Panama, ce poème a inspiré une toile au peintre Humberto Ivaldi, autre Afro-Panaméen, tableau que nous avons inséré à la suite de notre traduction. Alors que nous avons purgé ce blog de toute nudité picturale, le poème suscite en nous un tel labyrinthe de pensées que nous avons décidé de faire une exception pour ce tableau qui s’en inspire (et qui représente les sirènes, non avec des queues de poisson, mais comme des naïades nues).
Les poèmes qui suivent sont tirés de deux anthologies différentes, l’une de poésie du Panama où, avec dix poèmes (intégralement traduits ci-dessous), Octavio Hernández occupe une place de choix, l’autre du poète lui-même. L’anthologie de poésie panaméenne est l’Antología general de la poesía panameña, réunie et commentée par Agustín del Saz, avec l’aide du poète panaméen Rogelio Sinán, et publiée en 1974 (ci-dessous au ch. I). L’autre volume est En un golpe de tos sintiό volar la vida: Gaspar Octavio Hernández, Obras escogidas, anthologie réunie par Johnny Webster, avec une préface de ce dernier, et publiée en 2003 (ch. II).
*
I
Ego sum
Vous ne verrez orner mes traits
ni teint de nacre ni cheveux d’or,
ni ne verrez briller dans mes yeux
l’éclat du saphir, céleste et pur.
Avec la peau basanée d’un Maure de bronze,
avec des yeux noirs d’une fatale noirceur,
dans la ceinture vert-obscur de l’Ancon1
je suis né face au Pacifique sonore.
Je suis un enfant de la Mer… Car en mon âme
il y a – comme sur la mer – des nuits de calme,
d’indéfinissables colères sans nombre
et le désir véhément de lutter avec moi-même ;
lorsque je m’abîme en des tourments cachés,
je crois être une mer changée en homme !
1 L’Ancon : nom de la colline qui surplombe la capitale du Panama.
*
Aria de gratitude (Aria de gratitud)
À Demetrio Korsi
Tu te trompes ! Mon adoration
n’est point pour tes cheveux d’or
ni pour ton teint de neige,
ni pour les mélodies
de grelots
qu’il y a dans ton rire bref…
Je t’adore parce que tu sais
oindre l’âme brisée
des baumes suaves
nés de ta tendresse.
Je t’adore car tu désires intensément
verser tes harmonies
dans les nefs sombres
du temple de mon âme
où depuis si longtemps,
dans un calme sinistre,
gisent mes joies.
Âme céleste et triste,
âme qui as souffert,
comme le doux Jésus,
d’extraordinaires outrages
– les lèvres abreuvées de fiel –
clouée sur une croix ;
âme qui, détachée
de la croix de la Douleur,
offris à ma vie
ton amour comme une fleur ;
je t’adore car, une nuit
que mon âme évoque
avec un déchirement infini,
tu fus comme un rayon d’or
fendant les ténèbres ;
tu fus un arc-en-ciel de lune
souriant dans mon ciel !
*
L’agonie du guerrier (La agonía del guerrero)
Avec des yeux trahissant le chagrin,
prostré, le capitaine contemple, suspendue
au mur décrépit, la splendide épée
avec laquelle il réduisit des peuples en esclavage.
Il lui semble revoir le mont moussu
– baigné de sang frais et de larmes –
où son poing armé de fer
inspirait la terreur à la foule ennemie.
– Inutile d’espérer ! s’exclame-t-il,
et, comme un serpent saisi par la colère,
il se retourne brusquement dans son lit.
La patrie, avilie ; ma dame, infidèle ;
ma lame, immobile ; ma couronne, brisée…
Du fer de mon épée transpercez-moi le cœur !
*
Havoc
Tous ! tous sont tombés dans la fosse,
précipités avec rage par le Sort :
ma mère, reine de bonté, mon père,
homme fort, ainsi que ma grand-mère affectueuse.
Arbuste brisé par la catastrophe
déchaînée, je restai timide, inerte,
ô maison ! ô nid de mon bonheur, en te voyant
pleine de poussière, obscure et silencieuse…
Accablé de tristesse, je regardai
les courtines du lit maternel
où je poussai mon premier cri.
Et au moment de partir je fondis en larmes,
car la douleur profondément réprimée
comme un poignard me lacérait la poitrine !
*
Ballade du sonneur de la cloche d’or (Balada del campanero de la campana de oro)
À Guillermo Andreve
What a world of merriment
their melody fore tells! (Poe)
I
Gloire, sonneur de cloches ! Cours
à la tour la plus haute
et de la tour la plus élevée
appelle à la joie, à la fête !
Fais vibrer dans le sonore
lever du jour nouveau
ta cloche d’or ! L’or
chante seulement la joie !
Sonneur, sonneur,
sonne ta campane d’or,
pour que sa mélodie
chante mon triomphe sonore :
aujourd’hui – comme un magicien de jadis –
d’une femme toute acier
je fis une femme en or !
II
Sonneur, monte vite
à la tour la plus déserte
pour, avec une cloche gémissante,
sonner le glas !
Sonne ! sonne ! Dans le sombre
commencement de l’aube,
fais interpréter ma peine
à la voix de ta cloche.
Sonne ! sonne, sonneur !
Ma foi se meurt…
Sous une dolente étoile,
un oiseau de mauvais augure gémit,
car agonise ma foi.
La belle qui hier était acier
est restée la même, étant en or…
Sonne, sonne, sonneur,
car je m’abîme dans le désespoir
en voyant que l’or est pareil
à l’acier !
Dis, dans ton battement sonore,
que ni le Mal ni le Bien n’existe,
et que l’étoile d’or
que les Rois mages virent
monter au loin
dans le ciel de Bethléem,
plus que messagère de joie
fut messagère de l’agonie
du Roi de Jérusalem.
Dis qu’un poignard poli
du plus poli argent,
tue
autant qu’un poignard de cristal
ou qu’un poignard d’agate ;
que le métal précieux tue
comme tue le vil minéral.
III
Ah ! La femme qui fut acier
est restée la même, étant en or !
Conte mon affliction, sonneur de cloches !
Raconte, dans ton battement sonore,
qu’une femme toute en or
est pareille
à une femme toute acier ;
et que par destinée fatale
une femme toute en acier
ou une femme toute en or
est rivale
d’une femme de cristal !
IV
Écoute maintenant, sonneur :
ne laisse pas gémir ta cloche
quand s’éteindra l’étoile
d’une vie humaine, fugace.
Fais sonner à ta cloche
un chant de victoire ;
fais-la chanter d’une voix libre
et toujours : Gloire !
Qu’elle ne prenne pas une voix funèbre
mais soit une volée sonore,
car les cloches d’or
sont faites pour l’hymne triomphal !
Chante joyeuse ! Que le jour nouveau
entende ton chant sonore,
ô cloche d’or ! L’or
chante seulement la joie !
*
Chant au drapeau (Canto a la bandera)
Le jeune homme s’immobilisa sur la côte, devant la mer transparente. Le matin commençait de répandre ses lumières. Sur l’un des bateaux d’Aguadulce2 ancrés dans le port, un marin herculéen couleur de bronze – chantant une joyeuse chanson populaire – hissait le pavillon tricolore de l’Isthme.
Le jeune homme se sentit soulevé d’enthousiasme : l’enthousiasme le fit poète et lui inspira ce chant.
Voyez comme au-dessus de la mer s’élève l’étendard
qui reflète dans ses couleurs vives
la mer et le ciel de l’isthmique patrie !
Regardez ! C’est le drapeau du Panama,
splendide comme un beau manteau de fleurs !
Voyez comme s’élève le mât du voilier
ondulant en languide harmonie
à la lumière de l’astre matinal,
tandis que chante un robuste marin
à la voix rude des chants de joie !
Le zéphyr de l’Ancon, pur et parfumé
comme un baiser de vierge, caresse
la soie ténue du pavillon flottant,
et le drapeau commence une tendre idylle
avec le vent sur la mer sonore.
Drapeau de la patrie ! Avec des nuages colorés
de pourpre, avec des fragments
de ciel des paysages de l’Isthme
et d’écume marine en dentelle,
nos vierges ont tissé ton étoffe !
Drapeau de la patrie ! Les étoiles
sur tes couleurs répandent leur éclat,
pérennement vives. Par leur présence
les hommes durs, les belles femmes
s’enflamment de fervent patriotisme !
Dans nos cœurs forts,
elles aviveront la flamme de l’héroïsme
quand au cri martial des canons
un clairon ennemi fera retentir ses notes
sous le soleil ardent de notre Isthme !
Elles raviveront dans nos âmes
l’amour de nos fertiles campagnes
semées d’orangers et de palmiers,
où – après le combat – des filles nubiles
nous ceindront le front de myrte et de palmes…
Drapeau de la patrie ! Monte…, monte
jusqu’à te perdre dans l’azur… Alors,
quand tu flotteras dans le pays des chérubins,
quand tu flotteras près du voile des nuages,
si tu vois que le Destin aveugle
a mis de la couardise dans les cœurs panaméens,
descend, en feu converti, sur l’Isthme
et détruis avec fébrilité
ceux qui aimèrent ta splendeur un jour !
2 Aguadulce : Localité du Panama.
*
La tête de Vasco (La cabeza de Vasco)
Ndt. Voir en introduction quelques remarques au sujet de ce poème.
Détachée du tronc, la noble tête
du noble Vasco Núñez de Balboa
à la mer fut jetée par Pedrarias. Et le sang
qui coulait en gouttes purpurines,
– devenant solide dans le gouffre –
en rameaux de roses marines se transforma,
en faisceaux de coraux nitides,
brillants et roses coquillages.
De leurs alcazars de perles
montèrent des sirènes mélancoliques,
et dans le marbre du visage ensanglanté
imprimèrent leurs bouches.
Imprimèrent leurs bouches comme un maître orfèvre
incruste dans des coupes ciselées
d’or et d’ivoire ou d’ivoire et d’or
des cornalines de pourpre flamboyante.
Les sirènes chantèrent ! Et leur chant
fut une averse de notes si dolentes
qu’en écoutant leurs tristes vibrations
les rochers de douleur tremblèrent.
Vasco ! dirent les Sirènes, Vasco !
réponds à notre voix.
Te souviens-tu de notre voix ? ne te souviens-tu pas
que dans tes funèbres nuits d’angoisse,
lorsque tu maudissais ton inclémente destinée
parce que ton étoile avait naufragé dans les ténèbres,
en nos doux chants nous recueillîmes
les éplorés échos de tes plaintes profondes ?
Baise nos lèvres, les baisers de ta bouche
retentiront comme un hymne de gloire !
Parle-nous, tes paroles de vaincu
nous diront ta douleur à chaque note !
…..
Pas de baisers… pas de paroles… Quelle cigüe
a empoisonné ta bouche rose ?
…..
Alors, emprisonnant dans leurs mains pures
la tête du Héros, rigide et blonde,
les aimantes sirènes du Pacifique
disparurent sous les vagues.
Et, le chœur des sirènes se submergeant,
dans les ondes claires se répercuta,
comme un ramage de plaintes et de baisers,
la crépitation du battement de leurs queues.
Quand, sous le fouet des éclairs,
la mer se hérisse dans les nuits tempétueuses,
du fond de l’abîme surgissent des accents
de sainte indignation et de sainte colère.
Accents qui paraissent venir
d’une harpe de fer gigantesque et rauque ;
accents qui paraissent la protestation
des vaincus qu’immole la souffrance ;
accents plus terribles que les tonnerres
qui font trembler la voûte de saphir
dans les moments d’horreur ; accents rudes
comme la rumeur de la tempête sonore !
Nobles cris sans doute ! Peut-être les cris
de sainte indignation et de sainte colère
par lesquels protestent les monstres de la mer
parmi les rochers sous-marins
en voyant détachée de son tronc la noble tête
du noble Vasco Núñez de Balboa !
.
.
*
Les arbres au bord du chemin (Árboles de la orilla del camino)
Enfant !
Lorsque sur un chemin isolé
tu ne vois qu’épines et cailloux,
quand sur un chemin lugubre tu soupires
après un aimable compagnon,
pense qu’au bord de la route sombre
il se trouve toujours un être qui protège ton destin :
c’est l’arbre qui sur le bord du chemin
à tous offre sa sympathie.
Pense qu’au bord de la route calme
où tu vas, prostré de craintes,
le bel arbre tend des arcs de fleurs
pour t’offrir dans chaque fleur son âme.
L’arbre est amour ! Sous ses frondaisons,
sous ses vertes branches fleuries,
qui sait combien de vies endolories
trouvèrent consolation à leurs peines profondes !
Ah, combien de fois, en regardant le nid
dans les branches de l’arbre du chemin,
la nostalgie d’un voyageur n’a-t-elle évoqué
les ruines augustes du foyer perdu !
Et l’affligé ne s’est-il abrité, dans son chagrin,
sous la ramure ombreuse de l’arbre haut,
et n’a-t-il mêlé de gouttes de rosée
les gouttes pures de ses larmes ?
Combien de fois l’arc-en-ciel de la lune
ne fut-il un sourire au voyageur
qui à l’ombre de l’arbre du chemin
rêva d’épouser la Fortune !
L’arbre est amour ! N’ignore jamais
que sur la route qui connaît tes fatigues,
tandis que d’autres versent mandragores et orties,
lui dans un paisible labeur répand des fleurs !
Enfant, prend soin de l’arbre ! De son fort
tronc vigoureux et de ses branches prend soin !
C’est un berceau : l’arbre a protégé ta vie !
C’est un cercueil : l’arbre t’aimera dans la mort !
Arbre ! pur symbole d’une aspiration
que l’illusion maintient dans nos âmes,
nous voulons vivre comme toi sur la terre
et comme toi le visage tourné vers le ciel.
*
Le pressentiment de l’arbre (El presentimiento del árbol)
La nuit tombait. Je m’arrêtai sur le chemin. Le vent humide secouait les ramures. Je m’arrêtai sur le chemin, devant un arbre sans fleurs. Haute comme le chêne le plus haut, sa frondaison se perdait dans les nuages. De cet arbre venaient des voix mélancoliques. Je les comprenais. Car l’arbre souffrait, et il faut savoir que tous ceux qui souffrent parlent la même langue, d’où qu’ils soient et même s’ils appartiennent à différents règnes de la Nature. L’arbre souffrait. Cependant, il gardait espoir. Il pressentait qu’une colombe viendrait se poser sur ses branches et…
L’arbre dit : « Je suis un arbre sans fleurs
qui dans le jardin natal a grandi dans l’oubli ;
jamais, jamais les oiseaux chanteurs
– en voyant mes branches orphelines de fleurs –
sur mes branches n’ont fait leurs nids.
Tous les cers m’ont fustigé. Il fallut
que, faible, j’incline ma ramure,
bien qu’elle montât comme nulle autre
(si près des nuages, des nuages qui
sont aujourd’hui nuage et demain seront source).
L’éclair voulut me foudroyer. Un jour,
quand passa la tempête en criant
au-dessus du murmure de ma cime ombreuse,
tandis que l’éclair rugissait devant moi,
je chuchotais, chuchotais…
Qu’il est doux de répondre avec un doux accent !
Qu’il est doux de répondre avec douceur
aux rudes apostrophes du vent !
Quand m’offense la tempête violente,
que de musique je verse dans l’espérance !
Je suis un arbre orphelin de fleurs,
orphelin de nids. Il n’y a encore
dans ma ramure ombreuse ni floraisons
ni passereaux chanteurs ;
mais demain, au lever du jour,
parmi les rayons colorés du matin,
une colombe égayera ma pénombre ;
ses ailes seront comme deux fleurs,
deux ailes comme des lys tremblants,
deux lys d’une blancheur d’eucharistie…
Et la colombe, en se voyant mienne,
saura que mes murmures sont des caresses ;
et quand elle verra que dans mon tronc, un jour,
une hache a ouvert une plaie douloureuse,
elle m’oindra du miel de son harmonie ;
et dans la désolation de mon agonie,
pour égayer mes ultimes souffrances,
à elle seule elle répandra plus de musique
qu’une joyeuse troupe de rossignols… »
*
Berthe de l’Alcazar (Berta del Alcázar)
Dans la pénombre
d’un matin d’hiver,
la pluie sanglote
et chante d’une voix douloureuse
à son aimé le cers une chanson funèbre.
D’un piano
lointain
on entend les romances…
Ah, le clavier gémit
avec un son tremblant
une longue histoire désespérée,
l’histoire d’une illusion perdue.
Oui, le clavier gémit profondément, gémit
avec le son dolent d’un sanglot humain,
le sanglot d’une enfant malade, de qui
d’inclémentes sorcières oppriment l’âme et le cœur.
Berthe de l’Alcazar, la blonde phtisique
qui dans ses jours de plaisir fut une beauté triomphale,
regarde depuis son lit les gouttes de pluie
laver les carreaux de la fenêtre ;
et Berthe, en entendant
cette voix soupirante et monotone
avec laquelle parle la pluie, se met à gémir,
adresse à Dieu des phrases de supplique…
Puis, elle tousse… tousse… et sa toux est singulière.
Berthe de l’Alcazar fut actrice, la plus belle de toutes…
Sur scène
elle semblait une étoile,
semblait une étoile de grâce et de génie.
Il n’y avait point de fraises
plus belles que celles
qui donnaient à ses lèvres le carmin des cerises.
Lèvres qui avaient le parfum des lys,
lèvres tentatrices
où les promesses
étaient d’intangibles oiseaux chanteurs
jouant dans une corolle de couleurs rouges.
Nul ne vit cheveux
plus blonds que ceux
qui la couronnaient de soie et d’étincelles.
Quand Berthe paraissait sur scène,
la muse Harmonie venait à elle,
lui soufflant des roucoulements de paix et de joie…
Et les vocalises de la célèbre actrice
étaient comme les notes d’un chant mystérieux
dormant sur de fins pétales de rose.
Mais, écoutez : l’actrice
par une nuit fatale tomba
en faiblesse d’amour ;
cette âme idéale
fut malheureuse.
Nul ne sait quel jeune homme
fut le premier à souiller
d’une passion cruelle
cet œillet luxuriant
qu’apportait le jardin de l’art.
Ah ! Mais personne n’ignore
que depuis cet instant tragique
Berthe souffre, Berthe pleure,
en voyant que son visage
rapidement perd ses couleurs.
En voyant que, pauvre et malade,
elle n’aura bientôt
pas même un lit où puisse dormir
sa silhouette faible et stérile
dont l’aspect épouvanterait la Mort.
La nuit tombant, et la pluie suspendant
sa longue chanson funèbre,
Berthe de l’Alcazar, la blonde phtisique,
sentit en elle une fatigue mortelle.
Elle toussa… Et dans sa toux
il y avait de vagues suppliques à Dieu.
Berthe se souleva sur le lit
dans un geste de confusion
et, se souvenant de son bien-être détruit,
elle sentit en son sein
un profond désespoir.
Elle cacha son visage
dans ses mains tremblantes
– dont la Beauté
avait fait deux roses légères –
et s’exclama tristement :
Pourquoi s’enroule en moi le serpent noir
des souffrances ? Quelle infamie, quel crime
souille mes mains de sang ?
Quel blasphème plein de fiel vous a jeté ma bouche
pour que vous me blessiez ainsi,
Seigneur qui endeuillez le monde ?
Vous qui pouvez tout, vous qui, un jour,
vîtes Marie Madeleine vous caresser
pour que vous la nimbiez de pureté.
Vous qui à la manière d’un astre brillant
avez traversé le ciel des siècles
en répandant de sereines clartés ;
rendez-moi la paix – la paix seulement !
Ce n’est pas la beauté des pompes triomphales
que je demande. Car je hais à présent
cette beauté qui m’a valu des lauriers,
beauté mensongère. Je ne désire plus rien
sinon que vous rendiez la quiétude à mes entrailles.
Oh Dieu !… Berthe se tut… Puis son corps fragile
avec une soudaine violence trembla…
Elle toussa beaucoup… toussa… et des flots de pourpre
dissolution imitèrent les rubis
sur l’exsangue blancheur de sa beauté.
*
II
Chanson d’arbres (Canciόn de árboles)
Arbres en fleur
sur le lointain sentier,
je suis votre frère,
arbres frais et fleuris.
Comme en vous, adhère
en moi le désir sacré
d’avoir – déchirant le voile de l’air –
le front à fleur de ciel,
les pieds à fleur de terre.
Et tout comme vous,
en fraternelles amours
je laisse tomber sur d’autres êtres,
qui sont mes frères, mes fleurs.
Arbres en fleur
qui, dans le pré bleu,
êtes des nids de fleurs tissés
par la Fée Printemps.
Dans vos ramures j’ai vu
s’ébattre les rossignols
comme batifolent en moi
les pensées d’amour.
Arbres en fleur
sur le lointain sentier,
arbres frais et fleuris,
je suis votre frère.
Et tout comme vous répandez aux vents
vos fleurs, vos feuilles,
au vent je donne mes pensées,
mes souvenirs et mes angoisses.
Je viens d’en bas,
de l’obscurité où commence
toute montagne. Mon âme n’a point
porté la triste grandeur
de l’être qui naît sur les sommets
et, dans l’oubli de soi,
se perd parmi la multitude
comme une rivière dans l’abîme.
Je viens d’en bas. Mais il me fallut
comprendre que vaut mieux
l’arbre qui jusqu’aux nuages
élève sa ramure en fleur,
vaut mieux que le ruisseau
qui, né sur un glacier
– tout près du ciel –,
s’en va mourir dans la mer.
Arbres en fleur
sur le sentier lointain,
arbres frais et fleuris,
je suis votre frère.
Ah ! je serai votre frère
jusqu’à la nuit glorieuse
où de la grossière chenille
naîtra le bleu papillon.
*
Guirlandes pour une morte (Guirnaldas para una muerta) [Est ici traduit le premier de trois sonnets.]
Je l’appelle en mes heures de silence et chagrin,
quand en moi ressuscitent de douloureuses rancœurs
en pensant que, douce et bonne comme elle était,
les dieux la couchèrent – sur un lit de fleurs.
Je l’appelle en mes heures de silence et fatigue,
quand sous le coup du deuil mon orgueil se dissipe ;
quand brille dans les brumes de ma pensée
le candide éclat d’un souvenir de son esprit.
Je l’appelle d’une voix où vibre le gémissement
le plus dolent et le plus profond, le plus sincère et le plus triste
jamais né de poitrine affligée.
Et, l’appelant sans entendre sa belle voix, je me suis mis à croire
qu’elle m’attend, qu’elle tremble encore de passion, qu’elle existe encore,
mais cachée et silencieuse, pour voir si je l’oublie.
*
Douleur de sirène (Dolor de sirena)
Avec toi, muette et pâle voyageuse
qui de cet océan où tu partis
à la recherche de corail ramenas seulement
tes illusions et ton drapeau détruits ;
avec toi, errante et jeune enchanteresse,
sœur de ce qui est grave et triste,
qui depuis un rivage stérile as conduit
ta barque en lent voyage vers ma rive,
avec toi est venue sur la plage de saphir et d’or
une agile sirène à la queue argentée ;
et, comme elle vit que, versant des pleurs
d’amour, je posai ma main à ta ceinture,
elle chanta : « Moi seule connais l’amertume
d’être pour toujours amoureuse et… seule. »
*
Le cercueil aux fleurs (La caja de las flores)
Il n’idolâtra point les charmes de sa chère femme
sauf une nuit, quand il la trouva exsangue, sans vie
sur le misérable lit d’un hôpital de folles
où l’avaient conduite son amour et ses souffrances ;
où meurent tant de bouches exaltées
en comprimant de pauvres et puérils bouts de phrases amoureuses ;
où meurent tant de seins ayant du miel de fleurs
sans donner leurs gouttes à des lèvres d’enfants.
Et quand il la trouva morte, il gémit en la voyant
si pâle, comme une perle claire
sans éclat. Elle ressemblait à la statue
d’une femme taillée dans un ivoire brillant…
Quand elle était chair vivante,
quand elle était femme entre les hommes,
elle gardait toujours le silence, pensive…
Elle fut la sœur des lys que répand sur le bord
du ruisseau le printemps.
Et vécut comme une colombe timide
dans le sombre jardin de la souffrance ;
et se dissipa comme une note,
et se dissipa comme un parfum
qui s’en va poussé par le vent
à travers la mer, la vallée, la colline…
Personne ne lui donna d’affection. Elle idolâtrait
celui qui soupirait après une autre et ne parlait que de celle-là.
Il ne l’aima point. Cependant, quand il vit le solitaire
cadavre, il versa des larmes. (Il était son bourreau.)
Et il alla dans les champs à l’odeur de réséda ;
et il alla dans les jardins de jasmin. Et il alla
chercher dans la pénombre d’un bois épais
des roses blanches et des roses de rubis et des roses-thés.
L’amant voulait, délirant dans sa douleur,
couvrir la dépouille non d’un linceul de soie
mais d’un frais manteau de fleurs naturelles.
Il les apporta. Et de fleurs il borda le corps fané…
Une lumière blanche et ténue, de l’azur infini
descendit. Elle mit un éclat de nacre sur la bouche
de la morte ; se répandit sur elle tout entière ;
et cette lumière était comme un impalpable voile
nuptial ; et cette lumière était comme un voile
subtil ; et cette lumière était comme un voile
à l’orient de perle, à la blancheur d’étoile.
L’amant devint fou. Il voulut dans sa démence
fabriquer un cercueil avec les fleurs les plus albes et de la plus riche essence.
Je ne sais comment l’amant fabriqua ce blanc cercueil
ni ne sais comment l’amant produisit un linceul
avec les fleurs les plus albes à l’odeur la plus véhémente.
(Et la lumière blanche et ténue se fit plus transparente
pour briller plus pure sur le front pur.)
Et dans le linceul étrange et dans la bière rare
la femme était le symbole de la beauté transie
disparue en pleine jeunesse…
Et dans ce linceul et cette bière
il l’enterra… Et ce frénétique avec elle enterrait
l’enthousiasme de sa jeunesse.
…..
Quand un jour on exhuma les restes
de la malheureuse méprisée, quand
sans cacher leurs intimes ressentiments
vinrent à son sépulcre, en pleurant,
des amis pleins de bonté
et d’affection, ils virent avec stupeur
des lys et des jasmins sur le sein endormi,
des jasmins et des roses sur les dormantes épaules !
Elle était intacte, belle. On aurait dit
que la mort elle-même vénérait
cette chair indestructible et rare.
Sur ce tombeau fleurissent encore
le jasmin et la marguerite ;
et quand l’étoile vespérale paraît,
quand déployant le satin et l’or
le soir couleur de rose va dans son char,
l’étoile murmure dans sa langue
de lumières :
« La pauvre…
elle est morte comme une colombe languide
qui meurt malade d’un tourment ignoré.
Ni marbre ni croix, personne ne pose
des couronnes de myosotis
sur l’albe sépulture de la belle ;
le souvenir du monde l’abandonne,
mais sur sa tombe ma lumière étincelle
et… une lumière vaut mieux qu’une couronne. »
*
Châtiment olympien (Cástigo olímpico)
Et tu méprisas le nid, le pauvre nid
de roses où je voulus te retenir
et… tu t’envolas en riant, pour te perdre
dans les cieux d’un pays inconnu.
À présent que tu reviens au verger florescent,
effrayée par des rafales mortelles,
mon amour peut seulement compatir
et te laisser voler jusqu’à l’oubli.
Ô malade hirondelle ! hirondelle
qui méprisas mon nid de fleurs
pour partir en quête de pompes inaccessibles !
En quittant mes collines bleues,
tu ne rencontras que des oiseaux perfides
qui arrachèrent des plumes à tes ailes…
*
Un oiseau blessé chante pour un bouton de rose blanche (Un pájaro herido le canta a un botόn de rosa blanca)
I
Je suis un oiseau sombre, tombé
dans les ronciers qui sur le bord du chemin
entremêlent leurs branches d’épines…
Un soir, un chasseur habile me blessa
à l’instant même où je quittai le nid
chantant la chanson de mon premier amour…
Mon nid était une branche en fleur
sur un grand acacia… Le vent me disait
en échevelant la ramure dans l’ombre :
« Vers d’autres cieux l’Amour t’appelle…
Sous un autre soleil une amante inconnue
avec d’érotiques accents te réclame
et murmure – palpitante de désir –
qu’elle te pressent seulement et… t’aime déjà ! »
À la lumière d’un crépuscule
qui mettait aux châteaux dorés de l’Occident
son dais de velours carmin,
dans un élan jubilatoire je pris mon vol…
Je tendis les ailes vers le ciel lointain,
pensant à l’amour et répandant mes chants…
Destin fatal de celui qui naît avec des ailes !
Les coups secs des projectiles imprévus
m’envoyèrent à terre, les ailes brisées !…
II
Depuis les ronciers aigres de mon affliction,
je te voir surgir, sur la branche ombreuse,
parmi les dépouilles de corolles fanées,
ô pâle et beau bouton de rose !
Délicat bouton de rose blanche !
Que jamais ne te frappe le vent furieux,
le vent des chagrins, celui qui arrache
les feuilles et les fleurs avec violence…
Délicat bouton de rose ! Que jamais
ne vienne le temps de te changer en rose !
La main du jardinier coupe toujours,
plutôt que la branche débile, la fleur luxuriante.
Dans les pétales fins et tendres
qui déploient des pompes de beauté florale,
les hivers font de grands ravages
et la tristesse paraît plus triste…
Continue de répandre ton parfum subtil !
et prie pour que l’oiseau tombé
ne soit point consumé de souffrance intérieure ;
pour qu’il recouvre sa vigueur perdue
et reprenne sa quête de la belle colombe
qui chante pour lui depuis un arbre au loin.
*
Excelsior
Ne construis pas ton nid dans les ruines
de temples ou d’alcazars décrépits
ni dans les branches de fragiles arbustes
où pour chaque fleur on compte cent épines.
Fais ton nid sur les sommets des montagnes,
d’où tes yeux puissent contempler
les cieux, les mers désertes, les horizons !
Où puissent tes colères sacrées
lancer des cris en chœur
qui retentiront comme un puissant clairon doré
ou comme la rumeur de formidables lyres
de fer et d’ivoire, de bronze et d’or !
Fais ton nid sur les sommets
des montagnes aux neiges lumineuses,
qui dans l’éclat des crépuscules
sont jaunes, violettes et roses ;
sur les sommets des lumineuses montagnes
qui semblent des colonnades éclatantes
où soutiennent les toits célestes
des arches de saphirs et de diamants !
Fais ton nid sur la crête
de la montagne ; là où s’entend,
comme les vibrations d’un orchestre infernal,
le battement d’ailes des condors : voix de combat,
le rugissement de la tempête : voix de protestation !
Seules les hirondelles
font leur nid dans les ruines,
sous le dais frais du lierre glauque ;
pour exhaler soupirs et plaintes,
elles s’abritent dans les humides retraites
qu’offre le mur de vieille pierre.
Seuls les rossignols
font leur nid parmi les fleurs
qui répandent des parfums dans la roseraie tremblante ;
sur des troncs débiles et dans les ruines
chantent les rossignols, chantent les hirondelles,
et avec les hirondelles soupirent les colombes.
Mais le condor et l’aigle impavides
ayant l’habitude de planer autour des nuages
doivent ériger leurs nids dans les hauteurs,
loin des bourbiers et près du ciel ;
sur les monts dressés des inatteignables cordillères,
qui voient, au-dessus de leurs sommets altiers
dans des nuages d’azur, des triomphes d’ailes
comme les triomphes d’autant de hauts drapeaux.
Vis toujours sur les sommets. Et si quelque jour
tu éprouves la tentation de l’abîme,
de ton sein une mélodie jaillira,
te disant : ne tombe pas encore,
victime de ta propre imagination :
l’abîme fatal n’est autre que toi-même.
*
Inadaptabilité (Inadaptabilidad)
Né sur un bord de mer sonore et claire,
toujours je contemple la distance de l’horizon,
attendant l’heure où dans un jour lumineux
un esquif ami m’apportera l’encens et l’or.
Né sur un bord de mer vibrante, j’aime
les îles qui resplendissent comme de vertes pierreries
et les perles qui semblent dans leur mélancolie
les larmes gelées de sirènes vierges.
Je voudrais quitter le rivage, partir loin
des amis, et des ennemis, vers les purs reflets
de la lune où la solitude est effrayante,
et là-bas me souvenir, seul, que j’étais
dans les forêts humaines un oiseau perdu,
un esprit désolé, étranger sur la terre.
*
Chanson de l’âme errante (Canciόn del alma errante)
Je suis une âme qu’un vil destin a condamnée à toujours errer,
toujours errer à la poursuite d’une clarté fantasmagorique ;
je ne crains rien des pierres ni des ombres du chemin,
mon bâton est l’espoir, ma lampe est le soleil.
Mon bâton est l’Espoir, et le Soleil une lanterne dorée
avec laquelle j’éclaire les sentiers que mes pieds fouleront
jusqu’au jour où m’appellera vers la vie éternelle
celui qui donne leur nectar aux fleurs et le sel et l’iode à la mer.
Je sais lire dans les étoiles les énigmes de l’avenir ;
et, par une nuit lumineuse, la Croix du Sud m’annonça
que si j’erre aujourd’hui sur une route aride, obscure,
demain je trouverai des chemins de fleurs et de lumière.
Laissez-moi… Je vais seul ; je ne veux ni ne vous demande rien.
Seulement un peu de silence, c’est tout ce que je désire !…
Et demain ?… Sur mes traces viendra peut-être l’oubli.
Et demain ?… Les étoiles vous diront peut-être qui j’étais.
Je suis une âme qu’une mauvaise fée a condamnée à toujours errer,
à toujours errer à la poursuite d’une fantastique clarté de chimères…
Mais il importe peu car j’ai l’Espoir pour bâton
et sur les chemins lugubres le Soleil est ma lampe d’or.
*
Atavisme (Atavismo)
Je fus dominé par le désir de tout connaître,
d’être à la fois trouvère et paladin ;
ivre de mon exaltante curiosité,
je portai l’épée à la ceinture et la mandoline à la main.
Mes pieds foulèrent les fleurs, marchèrent dans la boue,
j’entendis des soupirs de lyre et des cris de clairon ;
et tandis que j’avais la furie d’un belliqueux Ostrogoth,
je gémissais en entendant les trilles d’un violon.
En folles aventures je passai près de la mort
portant une amulette que la Fée du Sort
m’avait donnée pour que jamais maux ne m’atteignent.
Et maintenant que je regarde, inutiles, ma cithare et mon glaive,
alors que commence l’angoisse de mon agonie, je meurs
en modulant les notes d’un chant de triomphe.


