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L’âme en chemise de nuit : La poésie de Diego Calcagno

Le poète italien Diego Calcagno (1901-1979) est, comme le laisse entendre le titre du présent billet, qui est celui d’un de ses recueils, un poète dans la veine fantaisiste. Sa fantaisie n’est pas cependant sans une certaine mélancolie crépusculaire, qu’il partage avec le mouvement « crépusculariste » de la poésie italienne. Il pourrait être rapproché de l’« école fantaisiste » française, représentée par des poètes sensibles comme Tristan Derème, Léon Vérane, Tristan Klingsor, mais aussi se comparer à un Raymond Queneau, n’était qu’il écrivit assidûment en vers classiques (du moins dans les trois recueils dont nous nous sommes servi).

Ses histoires versifiées ont volontiers le caractère de fables animalières, comme le montrent les pièces Feux de camp, Agonie d’ailes, On rêve dans la cage, ci-dessous. Calcagno est ainsi un fabuliste moderne, dans la lignée d’Esope et des conteurs italiens que furent au seizième siècle Gabriele Faerno et au dix-huitième Giovanni Battista Casti et Carlo Gozzi.

Ayant commencé à écrire dans les années vingt, il est en outre à partir des années quarante l’auteur de scénarios de films, pour des réalisateurs tels qu’Alessandro Blasetti ou encore Roberto Rossellini, et à partir des années cinquante parolier de chansons, dont certaines ont été primées au festival de la chanson italienne de Sanremo et interprétées par divers artistes au fil du temps. Il fut également journaliste et responsable de programmes humoristiques à la radio.

Comme exemple de chanson, ce titre, Non costa niente (Ça ne coûte rien) de 1963 sur une musique d’Eros Sciorilli et interprétée par Johnny Dorelli.

Portrait de Diego Calcagno par Amerigo Bartoli, 1968.

*

L’âme en chemise de nuit
(L’anima in camicia da notte, 1927)

.

La conclusion (La conclusione)

Dès le berceau on appareille vers le néant
et la vie commence au cercueil.
Fin veut dire exactement commencement,
tout comme sortir signifie passer.

Aimer, se consumer, rire, espérer,
souffrir ? Exercice inconcluant
de verbes égaux à reconjuguer
du futur au passé, dans le présent.

Un baril de vinaigre est à Tagore
ce que Platon est à un kilo de dragées.
Le bien, le mal, l’harmonie, la souffrance ?

Une dilution de concepts.
On naît, ô bon Virgile. Et puis ? On meurt,
ô Filippo Tommaso Marinetti.

*

Feux de camp (Fuocchi di bivacco)

Un vieux crocodile
soignant sa tachycardie
sur les bords du Nil, dans le calme
du soir écoute
les chants à refrains
des femmes d’anthracite
qui vont se coucher.

« Si du prince au quartier-maître,
du dentiste à l’aliéné,
il arrivait tout à coup
que les lèvres de tous les hommes
se tintassent d’encre ;
et – pardon si je me montre
un peu hardi, belles jeunes filles –
s’il arrivait que la peau
de toutes les femmes
devînt, dans l’exultation
de l’irréalité, du papier buvard,
les pays du monde entier
se rempliraient
de messieurs soudanais… »

En un rêve de lointaines
plantations de bananes,
le jazz-band du vieux Nil
crie d’affreuses ritournelles
et d’indéfinies étrangetés
dans les bivouacs d’anthracite,
tandis que dorment les chameaux.

*

Les vêpres (I vespri)

Les nuées du crépuscule extasié
contorsionnent des luxures somnolentes ;
dans le ciel ivre d’évanescente fumée
passe le frisson d’un rêve non rêvé.

Poison des clairs-obscurs. Dolent halète
le destin, dans l’instant constellé
de tous les frissons, sur l’opalescence
du monde qui se colore de passé.

Convulsée d’enchantements, la Vie
se tait. Mais déjà fleurissent
des acacias de lumière. Et une lampe, sur chaque table,

est la faim de chaque homme, dans la paix
ceignant d’infinie pureté
les routes grotesques de notre fable.

*

Agonie d’ailes (Agonia d’ali)

Une grosse mouche mégalomane
arrogante, altière et insolente
se prenait pour un philosophe aérien,
pour un Messie volant.

Et de par le monde elle bourdonnait
le péan d’elle-même…
Déférentes, les mouches
s’empressaient autour de sa personne.

« Je suis invincible, omnipotent
– et en parlant elle se posa –,
il n’est point de force qui me domine,
je vois, je peux et je sais tout.

L’homme ? C’est vrai, je l’importune.
Mais je ne crois pas à cette sotte
histoire de Tobie1,
je ne lui vole même pas dans la bouche.

Les fenêtres ? Il est divertissant
de s’y promener en tous sens.
Mais la main d’un garçonnet
est aux aguets à chaque vitre.

Et l’araignée ? Oh l’implacable
destructrice de notre peuple !
Sa toile, triste Némésis,
c’est bien en vain qu’elle me la tend.

Et le miel ? Un grand danger :
il vous délecte mais vous englue.
Enfin, je me garde bien
de commettre l’insanité,

pour jouer un vilain tour
à quelque paisible bourgeois,
de tomber dans, disons,
sa mayonnaise…

Vive moi ! » Ayant parlé,
elle voulut s’envoler. Ah sort cruel !
elle s’était posée
sur du papier tue-mouches.

La morale de cette histoire ?
Il est possédé par le diable,
celui qui s’enfle de lui-même,
et finit très souvent,

tout son crédit perdu,
étendu, immobile, renversé
sur le papier tue-mouches
de son destin moqueur.

1 histoire de Tobie : Dans le livre de Tobie de la Bible catholique, le père de Tobie devient aveugle après avoir reçu de la fiente de pigeon dans les yeux.

*

Le dernier Pierrot (Il ultimo Pierrot)

« Chère Pierrette, Pierrot
a finalement décidé
de se débarbouiller la figure,
de renoncer à l’étiquette
de céladon ridicule.
J’irai de par le monde,

quoi que tu en dises,
impeccable, bien habillé,
impeccable, bien habillé,
joyeux et coloré.
J’enlève ma simarre
blanche et ne chanterai plus.

Dans la grande clarté
de la lune sournoise,
le chant inconsolé
de cet amoureux
espérant, souffrant et gémissant
pour toi ne se fera plus entendre.

Pierrette, je m’en vais,
ton Pierrot t’embrasse. »

***

Pierrot écrivit ces mots
et fit sa valise
après avoir brisé sa mandoline.
Chapeau borsalino,
complet de bon tailleur,
chemise dernier cri,
cravate rouge et bleue,
gants jaunes et parapluie…
Pierrot monta dans le train,
élégant et plaisant à voir,
une fleur à la boutonnière,
pour ne plus revenir.
Dans les grandes villes
de la terre, le jazz
tonitruait, la luxure la plus débridée,
la plus dissolvante frissonnait,
la folie et l’ivresse flambaient.

Pierrette, qui sait pourquoi
Pierrot repense à toi ?

Brunes teintes au henné
aux yeux d’émeraude,
blondes fatales aux chairs fermes,
aux seins archiducaux.
Amour froid et chaud,
pyjamas et décolletés,
baisers, caresses
qui font tourner la tête.
Bras perfides, dans les
secrets gynécées,
qui coupent le souffle.
Mais il pense toujours à toi,

le pauvre Pierrot
travesti en viveur.
Et il sort au balcon
pour dire sa passion
à la lune éclatante.

Pierrette, le sais-tu ou non,
que ton Pierrot est mort,
malade de langueur,
rêvant à toi lointaine,
dans la vaine lasciveté,
l’immense splendeur
du monde, auquel il dit « À nous deux ! »

*

Le péché de Ma Ta Vu (Il peccato di Ma Ta Vu)

Saïd Ecar, chef de tribu
dans le lointain Zanzibar,
chaque soir redisait
son ardente sérénade
à la Belle Ma Ta Vu,
Aphrodite d’ébonite
dont le sein ferme, immaculé
ne connaissait pas le soutien-gorge.

« Montre-toi. Je n’en peux plus.
C’est trop affreux d’affliger ainsi
le potentissime roi Saïd Ecar,
ô Ma Ta Vu. »

Un honnête perroquet
de son commentaire guttural
musicalisait sans fausses notes
le chant vain, affligé
du monarque tropical
sous les bleus frissons
du crépuscule africain.
Ma Ta Vu.

« Ô térébenthine caniculaire,
tendre Ma Ta Vu, folie de roi,
entends-tu mon chant plénilunaire ?
Je brûle pour toi. »

Un joyeux perroquet
en costume bigarré
allait au grand bal,
au grand bal masqué
que la lune en carnaval
offre au noble patriciat
de la forêt équatoriale,
et sifflait, bec en bas,
sur les branches des palmiers.
Ma Ta Vu.

« Pourquoi te montrer inhumaine,
Ma Ta Vu, fleur du Zanzibar ?
Donne ta bouche de porcelaine
à Saïd Ecar… »

Je ne sais comment cela se fit,
un soir Saïd Ecar
dans les bambouseraies
du lointain Zanzibar
vit en tendre colloque
avec le diabolique sorcier
de la petite tribu
l’objet de sa passion torride,
Ma Ta Vu.

Il y en a qui disent que le renommé
et impudique sorcier
lui lança un sortilège.
Alors le bon chef de tribu
sentit tout à coup ses jambes et ses bras
se couvrir de caoutchouc ;
et dans son cœur vrombit
un moteur fantastique.
Il sentit son corps
se transformer en fer haletant,
le puissant Saïd Ecar
au cerveau pétaradant.

Avec une magnéto pressée contre
la paroi de l’occiput,
il courut à sa ruine,
du crépuscule à l’aurore,
avec son cœur d’hydrocarbure.
Le sauvage fuit et dévore
à travers l’espace et le temps
les distances de topaze.
Qui pourra jamais l’arrêter !
Il roule et vrombit vers l’infini.
Ma Ta Vu.

Les serpents, pendant leur digestion
se divertissent en sifflant
dans le jazz du Nil glauque,
au riant Zanzibar.
Et les oiseaux tropicaux
de saxophones infernaux
enfièvrent ce concert
en l’honneur de Saïd Ecar,
le meilleur chef de tribu
qui oncques régna au Zanzibar.
Mais lui va sur trois roues,
ne peut plus s’arrêter…
Il roule et chante sur des routes inconnues.
Ma Ta Vu.

Et il roule toujours, pauvre monstre,
car il veut oublier
Ma Ta Vu, la femme d’encre,
la plus belle fleur du Zanzibar.

*

Chaussures sous le chemin (Scarpe sotto il cammino)

Le monde se lilasse,
enfants du monde, c’est Noël.
Que ceux qui ont l’âme transcendantale
à petites gorgées boivent de la camomille.

Nous sommes des enfants malades
dont le cœur est suspendu
à un arbre illuminé
dans l’impatience des cadeaux.

Passée la veille enchantée,
de mélancoliques bougies
attendent l’Épiphanie
dans les frissons du regret.

C’est toujours Noël dans le monde.
Et l’Épiphanie après viendra…
Nous portons chaque soir avec nous,
dans le désir infécond,

un souhait ardent que le long du chemin
la fête ne finisse pas…
La vie est tout entière une veille
dans l’attente de l’Épiphanie.

Tout homme est un enfant qui a mal,
qui boit de la camomille
et rêve, dans les soirs lilas,
un rêve polygonal.

*

On rêve dans la cage (Nella gabbia si sogna)

Ndt. Le poème évoque un épisode aujourd’hui méconnu de l’histoire de la médecine occidentale, quand, dans les années vingt, un chirurgien français d’origine russe, Voronoff, imagina de greffer sur ses patients des tissus de testicule de singe, comme cure de rajeunissement. Ce charlatan connut un certain succès dans les milieux argentés, qui firent sa fortune.

Dans le jardin zoologique, sous un soleil de plomb,
un vieux singe dort profondément.
Il rêve à ses amours perdues, à la fraîcheur du passé,
à la pénombre lointaine de sa forêt natale.

Il est retourné chez les siens. Quelle joie, quelle fête
autour de celui qu’on n’attendait plus, dans toute la sylve…
« Singes grands et petits, frères, mon peuple !
Vous rappelez-vous – commence le vieux quadrumane –
du triste jour où je fus capturé ? Me voilà
de retour d’exil. Je reviens des plus lointains
rivages vous apporter la bonne fortune, ô mes fils.

L’homme, cette race maladroite dont la jactance est telle
qu’il se vante de rien moins que de descendre de nous,
savez-vous ce qu’en Occident il est en train de faire ?
Il injecte force et vigueur à ses vieillards et avortons
avec nos glandes. » Parmi les feuilles
un frisson silencieux passa. Les singes qui batifolaient
suspendus aux branches par la queue ne bougèrent plus.
Les femelles crièrent, les vieux sanglotèrent.

« Maintenant je ne pleure plus – continua le messager –, c’est honteux.
Notre jour est venu, ô singes, il faut vaincre.
Dans l’Occident lointain, l’homme s’acquiert
vigueur et santé en nous déchiquetant ? Du premier explorateur
qui viendra par chez nous faisons de la charpie,
sans pitié, pour nous injecter l’intelligence
et la première de toutes les qualités humaines :
cette fameuse raison que l’homme seul possède.
Êtes-vous d’accord ? » Le peuple alors cria : Alala2 !
« Êtes-vous d’accord ? » Au-dessus des noix de coco et des bananes
un seul cri monta : À l’unanimité !

***

C’est ainsi que la tribu se transforma. Quelle étrange invention
que l’extrait concentré de moelle humaine !
Aussitôt une usine exporte comme du thon excellent
d’exquises boîtes de chair de serpent.

La Banque d’Escroquerie Équatoriale fait faillite
pour voler son prochain de la manière la plus légale.
Les louanges du Duce sont chantées par les singes du Tibet
qui, rouges jusqu’aux reins, voulaient le Soviet.

Au pied d’un arbre parfois on trouve, rigidifié,
un singe suicidaire qui s’est fatigué de la vie.
Quelque maigre cercopithèque se délabre,
se délecte avec l’opium, sniffe de la cocaïne.

Il n’y a pas de guenon élégante qui n’emploie le henné,
le vernis à ongles et le Chevalier d’Orsay3.
Et même les guenons casanières se peignent les cils
au crayon bleu en préparant la bolognaise.

Un gorille en queue-de-pie perd tout son bien,
jusqu’à son habit, en une seule nuit de poker.
Un macaque à monocle, en buvant un whisky soda,
falsifie la signature d’une riche cousine.

On danse. Tango, shimmy. On danse avec ardeur,
frénésie. Le quotidien socialiste En arrière !4
du nouveau parti quadrumane imprime :
« La danse est une folie de bourgeoisie consciente.
Pourtant, comme ces désirs pourraient être mieux satisfaits,
sans pas de jazz, tranquillement parmi les feuilles… »

Six mandrills en quête d’auteur obtient un triomphe
au théâtre. Les romans érotiques pullulent.
Le Livre du prurit errant fait fureur
chez les solitaires, affectés d’instincts dionysiaques.
Et il survient un Pitigrilli5 anthropomorphe qui
délecte les guenuches dans tous les salons de thé.

Et l’art se transforme ? Oh tourment pelliculaire… Vive
les « Films Grimace » ! Une magotte fait la diva
et se promène en auto, fastueusement parée
de puces, de bijoux et de fatalité.

À l’Hôtel Tropical et au Club de la Pêche
on joue sans interruption. L’accusation énorme
de tricher avec des cartes marquées au baccarat
portée contre une bande de grecs6 de la haute société
agite le sang bleu d’une guenon en vue
dans la pompe du glorieux almanach du Gotha.

Pour les caresses pelées d’une cantatrice,
le fils d’un illustre chimpanzé darwiniste
vole, est arrêté ; de désespoir, la guenon chanteuse
s’empoisonne en buvant six pots de peinture.

***

Quelque chose bouge dans la nuit claire :
lentement, à pas de loup, se dirige vers le marais
une chaste macaque éduquée au couvent.
Quel est ce paquet qu’elle sert contre elle ? que contient-il ?

Notre vieux singe la suit en cachette.
Horreur ! Il frissonne effaré
en voyant la triste femelle démailloter son paquet
et enfoncer dans l’eau un tremblant petit singe.

« Que fais-tu de ton bébé ? Ne vois-tu pas qu’il va mourir… »
« Il est l’enfant de la faute et doit disparaître. »
« Ah mère infâme, arrête… Arrête, maudite !
Monstre… Démon… Femme ! » Notre singe jette

un cri sourd et se réveille en sursaut, convulsé.
Il a le cœur glacé, le poil hérissé, la respiration haletante.

Il dit en tremblant : « C’est horrible… Les singes humanisés ! »
Il s’apaise. C’était le rêve d’un midi d’été.

***

Dans le jardin zoologique se balance doucement
le vieux singe dans sa cage, sous un soleil de plomb.

2 Alala : Cri de guerre des Grecs antiques. Le cri fut repris par le fascisme italien comme cri de ralliement sous la forme Eia! Eia! Alalà! forgée par Gabriele D’Annunzio pendant la Première Guerre mondiale.

3 le Chevalier d’Orsay : La maison d’Orsay est une parfumerie française créée en 1865 par les héritiers du comte d’Orsay (1801-1852) qui conçut diverses fragrances pour la femme de lettres anglaise Marguerite Gardiner, comtesse de Blessington.

4 En arrière ! : « Indietro! », parodie du journal Avanti!, « En avant ! », organe officiel du Parti socialiste italien. Mussolini en fut le directeur de 1911 à 1914. On rappellera que Mussolini fut exclu en 1914 du PSI pour avoir défendu dans ce journal, contre le principe de neutralité absolue adopté par son parti, l’idée d’une « neutralité active et opérante » (« neutralità activa ed operante ») en faveur de la Triple-Entente, c’est-à-dire de la France, du Royaume-Uni et de la Russie.

5 Plusieurs références littéraires, dont le lecteur cultivé reconnaîtra sans difficulté au moins la pièce Six personnages en quête d’auteur de Pirandello. La seconde évoque le recueil de poèmes Le livre de mon rêve errant (Il libro del mio sogno errante) de Guido da Verona. Quant à Pitigrilli, il s’agit du nom de plume de l’écrivain Dino Segre. Ces trois auteurs sont contemporains de Calcagno.

6 une bande de grecs : Le substantif « grec », sans majuscule, désigne en bon français (on le trouve par exemple dans les traductions d’Edgar Poe par Baudelaire) un tricheur professionnel aux cartes. Nous regrettons de véhiculer par cet usage un préjugé envers une nationalité respectable mais, le verbe « tricher » figurant déjà dans la phrase, il nous a paru impossible de parler en plus de « tricheurs » ; le mot « grec » tombait donc à point et nous n’en connaissons pas d’autres.

*

Phoques en exil (Foche in esilio)

Dans les cauchemars brûlants
des ruelles de Java,
un fakir flûtait,
enchantant les serpents,
des rythmes liquéfiés
pour l’usage et les délices
des petits indigènes
ivres de réglisse.

« Tous les figuiers se remplissaient
de figues sèches. Et le soleil ardent
couvrait de châtaignes grillées
les châtaigniers de l’île de Java.

Sur les routes, dans les maisons et les pagodes,
si l’on ne donnait pas de la glace aux poules,
elle souffraient tellement, les pauvres,
qu’elles pondaient des œufs durs… »

Les chiourmes léthargiques
suaient en ronflant
dans l’orgie d’eaux-de-vie.

Et le soleil crépitait,
hydroxyde de passion,
sur l’île de Java
qui, tragique sorbet
de sirop et citron,
fondait doucement
dans le rêve embrasé
de la mer incandescente.

*

Les bordées du caprice
(Bordate del capriccio, 1928)

.

Le sortilège (Il sortilegio)

Le soleil meurt de mélancolie
sur la mer qui, troublée, en frissonne.
Nous nous haïssons avec un peu de nostalgie,
nous qui nous sommes aimés avec emportement.

Saurai-je trouver dans la pharmacopée
des illusions le médicament
qui pourrait me tirer du tourment
d’une haine allumée dans l’idolâtrie ?

J’ai trituré des symphonies de cathédrales,
des respirs d’ombre, des flammes de roseraies
et j’ai fait bouillir en philtres inefficaces

des vertiges d’amours artificielles…
Mais dans mes veines plus que jamais,
dure amie, sévit la rage de tes baisers.

*

Se purifier (Purificarsi)

Dans la respiration de la glycine s’effeuillant
sur les vieilles villas endormies,
un mysticisme de fontaines éteintes
berce le vert délire de l’été.

Et je t’aime encore désespérément,
ô blonde reine des fées
que j’aimais dans les pages enchantées
des contes, quand j’étais innocent.

Et parmi les poupées de porcelaine
et les amours à haute tension
de quelque péché ultraviolet,

je poursuis encore l’affligée pureté
d’une sœur bonne et l’illusion
d’un antique jardin de lilas.

*

Nostalgies de tuiles (Nostalgie de tegole)

À quoi rêves-tu, ma chatte blanche ?
Peut-être que, souple et fatiguée,

tu rêves à des fuites de souris terrorisées
dans le sombre drame des insidieuses
armoires décaties, à de peccamineux
clairs de lune sur les enchantés
toits lointains ? Tu t’endors,
vieille et sans illusions, sur le divan,
alors que tout doucement les braises
dans l’âtre se sont éteintes…

***

Te souviens-tu ? Quand tu passais
sur la terrasse pluristellaire,
dans ce profond enchantement
nul ne se permettait de miauler.

Et toi, aux magnifiques chats tigrés
tu préférais, sans pitié,
les cérébrales complexités
des maigres matous fogazzariens7.

À présent ? Couchée près des braises
inerte et sans illusions, tu somnoles en paix,
rêvant aux temps de ta fortune.
Et les souris dansent tandis que dans le ciel
trémule une lune printanière.

***

Mais cette nuit la chatte
est ressortie sur le toit,
saluée avec respect
par ses compagnons qui, interrompus

dans leurs plus douces intimités,
se mirent à miauler
une louange nébuleuse
à celle qui par le passé fut
reine de beauté.

Et la vieille chatte blanche
est montée doucement
sur le chapeau de la cheminée,
vers le ciel resplendissant.

Dans le ciel obsédant,
quel vertige d’étoiles !
Elle a tendu sa patte avide
vers les plus belles

pour les attraper, dans l’étendue
illuminée, par surprise…

***

Et celle qui par le passé
plaisait à tous les matous du quartier
a dévoré cette nuit, entre tant
de lumières, une étoile filante.

Et incinérant ainsi, fatiguée,
sa longue vie de chatte blanche,

elle roula sur la pente
claire du toit plénilunaire.

7 matous fogazzariens : « mici fogazzariani » renvoie à l’écrivain Antonio Fogazzaro (1842-1911) dont les personnages ont forcément quelques traits de « cérébrales complexités » puisque notre poète le dit. La critique, peut-on ajouter, voit dans les romans de Fogazzaro la description des milieux de la noblesse et de la haute bourgeoisie de son époque.

*

Le poison des clairs-obscurs
(Il veleno delle penombre, 1930)

.

Collection (Collezione)

Au Destin je demandais, et à mes amis,
un deux centavos bleu à filigrane.
Et j’aurais consenti tous les sacrifices
pour les nouveaux tirages de La Havane.

Quatorze ans. Âge pur et lointain où
je pensais aux États pontificaux.
C’était le temps béni, heureux
où j’aimais le grand-duché de Toscane.

À présent que je colle sur le livre illustré de la Vie
les séries du royaume de l’Amour
avec une colle qui ne s’en va plus,

je regrette la douceur colorée
de l’âge où je demandais aux dames
les timbres de la Tunisie…

*

Exil de hangar (Esilio d’hangar)

À l’aube de l’an deux mille,
pistes d’asphalte
et aérolimousines
dans les cieux de cobalt.

Chaque émigré qui
attend son tour
d’embarquer sur les lignes
Mars-Nice-Saturne
salue, nostalgie
des plus lointains cosmos,
depuis les carlingues dressées
sur des frissons de mains…

***

Sur le vieux drame
de six mille mètres cubes,
nouveaux romantismes
de naphte parmi les nuages.

Touristes de comètes
et valises de cuir.
Dans les changements de la magnéto,
escales obligatoires
et stations d’étoiles.

Alambics poussiéreux
des années mille neuf cent quatre-vingt
pour les malades d’amour
tandis que le moteur chante
le long de la Grande Ourse.

Tous les émigrés
parmi les planètes distantes,

éteintes les suggestives
et merveilleuses fables
des locomotives,

sur les ponts d’aluminium
du biplan direct
Vénus-Port Saïd
sans wagon-lit,
chanteront, penchés
contre leurs vieilles mandolines,

des tristesses d’aéroport
et les désirs désolés
de trimoteurs morts
et d’hélices enchantées.

Et les projecteurs tendus
sur tous les astres allumés
s’entrecroiseront au-dessus
des femmes qui dans les aérogares
attendent des ailes.

*

La terreur du Guatemala (Il terrore del Guatemala)

Ô quels nuages sur le Guatemala
en mille sept cent soixante-trois !
Tous les galions du roi d’Espagne
coulaient à pic sans un pourquoi
et les voiles corsaires dominaient
le drame azuré de la mer.

Don Pedro Alcantes de Santafé,
dit la terreur du Guatemala,
un soir de grand gala
à la cour du Vice-Roi
vit Lolita, la plus resplendissante
belle apparue sur le continent.

Lolita, femme du Vice-Roi,
cachait bien mal le grand éclat
de son rire blanc d’hispanique Circé
derrière les plumes de son éventail,
tandis que mourait au-dessus des voûtes
la grâce perfide des menuets,
à la cour du Vice-Roi
en mille sept cent soixante-trois.

En la voyant dans la grand-salle,
Don Pedro Alcantes de Santafé,
dit la terreur du Guatemala,
sentit s’enflammer en lui
l’amour comme un feu de Bengale.

Il vint à elle, lui fit une révérence
et dit : Voulez-vous
que nous nous promenions au jardin ?
Doña Lolita répondit : Non.

Pâle, convulsé, quitta la salle,
quitta la cour du Vice-Roi
Don Pedro Alcantes de Santafé,
dit la terreur du Guatemala.

Ô quels vertiges d’enchantement
peuvent posséder trente-deux dents !

Pour le sourire, pour la bouche
convoitée de Doña Lola, il perdit
la paix et l’honneur, se fit pirate,
Don Pedro Alcantes de Santafé,
en mille sept cent soixante-trois.

***

Les cloches de toutes les églises
sonnaient le tocsin
quand paraissait sur l’étendue
de la mer le sombre vaisseau.

Les vieux prêtres en tricorne
et les jeunes filles en falbalas.
De longues bandes de fugitifs
désertaient chaque jour
les villes et la campagne.

Débarquement de hordes féroces,
cris et courses sauvages,
sombre histoire piratesque
de tempêtes et d’abordages.
Et Don Pedro, dans les pauses
des bivouacs sur les côtes,

invoquait délirant
le sourire de Lolita
qui de ses dents adamantines
brisa sa vie tout entière
au poison des violons.

Agonies, massacres
entre les gréements et les quais,
cauchemars, flammes et morts
sur la mer et dans les ports.

Et mettant à feu et à sang
places, maisons, églises,
les pirates de Don Pedro
sur les ponts et débarcadères
chantaient à tue-tête,
effroyable fanfare :

« Sur sa bouche Doña Lola
met un sourire qui éblouit
de ses dents éclatantes
le destin des bandits.
Dans le sourire de Lolita
qui nous exalte et rend malades,
il y a la mort, il y a la vie
du Guatemala tout entier… »

Fumantes arquebuses,
gardes d’épée splendissantes.
La mise à sac des châteaux
et l’incendie dans les couvents.

Les goélettes de Don Pedro
paraissaient au loin
et tout le littoral
retentissait de cloches…

***

Pedro le pirate, à la fin,
après avoir répandu
la terreur et l’effroi sur toute la terre,
parvint à la tour où se trouvait son amour.

Doña Lolita, lèvres ouvertes,
dormait paisiblement (coudes serrés,
seins florissants) sous les couvertures
et les froufrous de ses dentelles.

Et dans un grand verre se trouvait
avec un peu d’eau son dentier.

Alors, mis hors de lui,
parmi les ruines on retrouva
mort comme frappé d’apoplexie
Don Pedro Alcantes de Santafé.

Et aujourd’hui encore, dans la grange
ou le mas de quelque antique
cultivateur de Porto Rico,
quand les clochers lamentent
le soleil mort dans la brume,
quelque vieille métisse
dit à genoux trois ave maria.

Quelque béguine encore prie
pour que soient sauvés les maisons et les champs
où pousse si profusément le café
de l’apparition, Dieu nous en garde,
de Pedro Alcantes de Santafé,
dit la terreur du Guatemala,
l’effroyable corsaire qui
lors d’une fête de grand gala
vit devant lui sourire

Doña Lolita tandis que les menuets
s’alanguissaient au-dessus des voûtes

à la cour du Vice-Roi
en mille sept cent soixante-trois.

Le sablier sournois et autres poèmes de Lionello Fiumi

Le poète italien Lionello Fiumi (1894-1973) fut un acteur majeur des relations culturelles franco-italiennes de son époque. Établi à Paris de 1925 à 1940, il y fonda en 1930 la Société Dante Alighieri, le réseau de ces sociétés étant l’équivalent italien des Alliances françaises à l’étranger. De la Dante Alighieri de Paris il fut secrétaire général jusqu’en 1934. En 1932, il fonda la revue Dante : Revue de culture latine, qui dura jusqu’en 1940.

Il fut responsable de deux anthologies de littérature italienne contemporaine en traductions françaises, en 1928, Anthologie de la poésie italienne contemporaine, et 1934, Anthologie des narrateurs italiens contemporains. Il existe de sa poésie des traductions françaises par Jules Supervielle, Valery Larbaud, Pierre de Nolhac, Eugène Bestaux et d’autres. Il a lui-même traduit de la littérature et de la poésie françaises en italien, dont Le cimetière marin de Paul Valéry. En tant que critique littéraire, il a entre autres publié un essai sur Supervielle (Supervielle, il poeta della relatività, 1934), un essai sur le poète « crépusculariste » Guido Gozzano, traduit en français en 1934, un autre sur le poète et académicien Pierre de Nolhac (Un grande amico dell’Italia: Pierre de Nolhac, 1934). En 1935, il sortit en italien une anthologie de poètes japonais contemporains (Poeti giapponesi d’oggi) en collaboration avec l’écrivain japonais Kuni Matsuo. Nous retiendrons aussi son Corrado Govoni de 1919, consacré au poète dont nous avons traduit sur ce blog plusieurs textes (entre autres ici) et dont il passe pour le premier disciple.

La poésie de Lionello Fiumi est en vers libres, ce qui, à l’époque où il commença à écrire, n’était pratiqué en Italie que par les poètes du mouvement futuriste autour de Marinetti. En préface à son premier recueil de 1914, il explique que, tout en se servant du vers libre (parfois rimé), il ne cherche pas à suivre les tendances du futurisme, au-delà de la forme. Son rattachement à Govoni est tout à fait logique puisque ce dernier fut, peut-on dire, l’un des moins futuristes des futuristes, c’est-à-dire un des moins intéressés, dans le cadre des formes nouvelles du vers libre, à expérimenter, à forcer l’inspiration dans des voies inconnues des prédécesseurs (l’idée étant que l’originalité d’un poète ne dépend pas tant d’un tel travail plus ou moins méthodique d’expérimentation que de sa personnalité).

Les poèmes qui suivent sont tirés d’une anthologie de 1963 (Poesie scelte [Poésies choisies], Casa Editrice Ceschina, Milan). Compte tenu de ce que nous avons dit plus haut, il est possible, voire probable que plusieurs de ces poèmes aient déjà été traduits en français (et par des plumes connues). Des anthologies de la poésie de Fiumi ont paru en français en 1950 (Poèmes choisis) et 1962 (Choix de poèmes). De même, le recueil Sopravivvenze de 1931 (ci-dessous quatre poèmes) sortit la même année en traduction française, Survivances, avant une seconde édition en 1935 « avec de nouvelles traductions » (ce qui laisse penser que la version française de 1931 n’était pas une traduction de l’intégralité du recueil original, à moins que ces nouvelles traductions ne fussent tirées d’autres sources).

Lionello Fiumi e Signora, par Mario Tozzi, 1931. L. Fiumi et son épouse, française, née Marthe Leroux. Source : Catalogo generale del pittore Mario Tozzi.

*

Pollen
(Polline, 1914)

.

Le sablier sournois (La clessidra maligna)

Dans le laboratoire de l’alchimiste
plein d’ombre et de fumée,
parmi les alambics, les compas et les volumes rongés
gisant comme des pensées
obscures mais précurseurs,
ironique le sablier trônait bien en vue.

Le sable de la boule supérieure
pleuvait en fil constant
et fin
comme un cheveu ;
quand la boule était vide,
le vieux sage retournait
l’appareil
et le sablier se remettait habile
à tresser le fil du temps.

Mais la Vie
est une poignée de sable sanglant
pesée
par le Destin
et placée à l’intérieur d’un sablier sournois :
à la boule affamée
d’en bas
le sinistre Inventeur
a retiré le fond.

Le sable
coule
comme mû par une rage
sans répit :
coule
coule
chuinte
et disparaît
dans le Néant.

*

Canicule (Solleone)

Oh sur la place pavée
la brutalité blanche de la lumière
qui étrangle les pupilles !

Chaleur étouffante. Inertie. Brûlantes pendent
les bannes de toile grise
des cafés où les tasses
se remplissent de boissons glacées
fébriles de mousse
et l’avidité rouge des visages
se penche sans attendre sur ces gouttes
d’hiver
perdues au milieu de l’aride violence de l’été.

Et dehors, implacable,
la brutalité blanche de la lumière
qui étrangle les pupilles.

Et dehors, sortant de l’ombre,
toute la place énorme comme
une gifle de lumière.

*

Impression d’une nuit d’été (Impressione d’una notte estiva)

Nuit dans le parc :
immense drap muet
où seul fait une déchirure
ronde et brutale
là-bas dans l’allée
un globe électrique.
Une lumière crème cogne acide
sur l’herbe
et en manières fantastiques
esquisse les contours noirs
des trames aériennes
des branches.

Passe une mince figure :
visage brillant de fard
dans le bassin obscur
d’un grand chapeau à plumes.
Sous le globe le visage prend
des tons violets : la grande bouche
engloutit un bonbon.
Par les chemins elle se perd
en la verdure complètement noire.

Massif dans la nuit,
le parc se recueille en silence,
constellé de lucioles,
jaunes
gouttes
de lune.

*

Mousselines
(Mussole, 1920)

.

Celle tant cherchée (La tanto cercata)

Elle existe, peut-être. Ailleurs.
Dans ces villas miniatures nouvelles
aux marges de la ville, à l’écart.
Enchâssées dans des jardins pomponnés,
pompeusement parées de petits balcons
à fins filigranes
sculptés dans le nougat ;
avec des fards vifs
rouge pompéien,
des ornementations florales
discrètement baroques.

Ce serait un crépuscule d’été délicieux comme un abricot mûr.

Le mari revient du travail :
en tramway, dans lequel s’agglutine
une foule anonyme
qui semble prendre au crépuscule
des reflets terreux
(le wagon déjà orné de son ampoule blanche) ;
et le long des voies rectilignes
marbrées de rumeurs couleur de brume
la cocotte aux joues fardées
sous le grand chapeau « à sensation »
d’où jaillissent des plumes de marabout,
malgré son regard de velours
titillant
ne l’intéresse plus,
lui semble une mauvaise femme,
tandis que la baby-sitter
poussant des enfants en habits de marin
bleu clair
s’en retourne des parcs aciérés de couleur olive,
de parcs brunâtres à présent lilas
(le wagon glisse avec son sifflement gris cendre),
tandis qu’éclosent par centaines
les ballons électriques,
cocons de soie
sur l’indolence du ciel
qui s’ourle à l’occident d’un tendre jaune chamois.

Il descend. Il est arrivé. Une bonne odeur embaume
l’air et subjugue
les narines
heureuses.

Mais que se passe-t-il ? Une course rose :
sa femme se précipite à sa rencontre,
la chère ! si charnue.
Attente rose, onde cramoisie
(dans la pénombre elle a un peu de bleu)
d’une robe de chambre en crêpe de Chine
(le caprice châtain
de cette boucle en crochet
sur la pommette opaline !)
Un franc baiser.

« Je t’ai préparé la sauce que tu aimes. »
Délices d’écouter tout près
une voix qui ne soit pas intellectuelle
et où s’abandonner comme sur un oreiller.

Puis la véranda :
blanche dans le crépuscule, et qui répand
les bons arômes des plats ;
qui baigne dans la lumière moelleuse
comme en un bain de glycines bleues.
Blanche rumeur de coups de cuillère. Bleue d’assiettes.
Il y a aussi, distinguée,
la rotonde gloire d’un pudding
glacé, couleur de paille
et rouge rubis par les grains de groseille.

Et enfin le jardin ouaté dans une paix à présent lilas argenté.

Je ne rêve donc pas. Elle existe. Je le sens,
je l’ai pour voisine, je le sens,
celle attendue en vain, celle tant cherchée,
la joie !

*

L’Autre (L’Altra)

Je ne le nie pas : ta fascination me fait de l’effet
tandis que tu portes à ta bouche
la tasse d’épais chocolat chaud,
mais, vois-tu… tu es trop présente.
Ton trop de réalité me fait mal.
Je ne t’aime pas, ne peux t’aimer, j’aime
l’Autre,
celle dont je peux d’autant plus jouir qu’elle est absente.

Celle, disons, qui vit au-delà des mers,
disons, où la canne à sucre dessine les limites
de violacées forêts séculaires
de campêche et d’acajou.
On dit : « Cacao… Havane… »
Des mots, mais c’est une ouate qui bande l’âme et l’éloigne un peu,
vers où peuvent nager
mes yeux éternellement assoiffés de couleurs.

Peut-être qu’elle m’attend.
Devant le manoir
enveloppé dans une gaine de feuilles,
l’agave déploie ses langues hirsutes
de pulpe verte et grasse.
C’est midi, et peut-être qu’elle m’attend,
la créole au regard brun comme un cœur de tournesol.
Sur le hamac : en robe aérienne de baptiste
à noisettes améthyste.
Alors que le planteur catalan
est loin
(son hacienda de tabac le retient ailleurs ces jours-ci),
avec des gestes las
lisant superficiellement un journal de mode française,
elle attend peut-être le poète des pays inconnus
« au-delà des mers ».

Et si j’arrivais ? Je l’embrasse. Elle a des grâces
de colibri.
Encore, je l’embrasse encore, mais elles ne sont pas encore rassasiées,
mes lèvres, mais toute, mais seulement là,
un baiser seulement sur les escarpins brillantinés de copal.
Je pose mon casque colonial.

Alors, couché sur l’herbe, parler : évoquer
les pays inconnus « au-delà des mers ».
C’est elle qui le veut.
Elle ferme à demi les yeux, ses yeux bruns comme un cœur de tournesol,
et boit mes paroles : les mots ont pour elle
la blanche exquisité d’un tiède tapioca
que boit à petites gorgées un languide convalescent.

Dans les pauses on entend une faible musique :
fontaine jaillissante
qui murmure murmure
qui s’élève et ploie
et rebondit
dans la vasque
où faiblement
elle s’écrase.
L’eau,
quand on la regarde, a des reflets vert paon changeants.
« Juanita ! » La génoise et le vieux vin d’Alicante
nous sont apportés par la fidèle mulâtresse
en robe écarlate,
nouveaux prétextes pour parler
des pays inconnus « au-delà des mers ».

Mais la nuit en promenade dans le parc public, sous des blocs de noir compact,
par les chemins tatoués d’ombres.
Quelque rare lampe à incandescence
d’un suave orange
entre les branches semble de loin un ananas.
On croise des señoras en sombreros et mantilles à plumes.
Elles ont des yeux cernés de charbon
et passent, délicates, d’un pas moelleux.
« Ah ! cachons-nous ! là-bas… Don Pedro ! »

Encore plus d’ombre, alors.
Il y a des recoins où se trouve plus d’ombre.
Mais seuls dans cette draperie d’épais silences.
C’est la nuit cubaine. Plongés dans une ombre verdâtre.
Des frissons. Presser les seins diaphanes
qui ont presque (c’est l’ombre) la transparence
d’une pulpe de cédrat.

*

Désenchantée (Disencantata)

Ô peut-être est-ce une lubie
que de croire la trouver un jour.
Tu la cherches, la vois, mais tu observes et te rends compte
que ce n’est plus la « volupté ».
À la place tu sens, te taraudant,
un mal couleur de cendre,
ton incurable mélancolie.

Imagine réalisé ton rêve le plus cher.
Tu es sur la Riviera
où face à la convexité turquoise
des villas sucrées comme des bonbons,
des villes d’hôtels aristocratiques échiquètent avec le plâtre
toute une mousse d’orangers nains, de roses, de cédrats, de citrons :
ce sont les villes du jeu où s’enfièvrent des trésors
d’ors
cosmopolites.
Tu passes ton bras autour de la taille
de l’aventurière magnétique,
« l’Impure »,
qui s’est éprise de toi « à la folie »,
et vous marchez.
Tu reviens de la baignade par le chemin bordé de palmiers
un soir sulfureux
d’été
et te délectes,
toi qui l’adores, de noter sur son visage les artifices
du crayon rouge :
tu lui mordrais la bouche sans attendre n’étaient
les garçonnets et fillettes qui jouent au cerceau
autour des fréquentes fontaines neigeuses,
vaporeuses
comme le tulle.

Ne penses-tu pas l’avoir trouvée ?
Sornettes. Tu sens que te taraude
une pointe silencieuse.
La maladie cendreuse
que tu connais : ton incurable mélancolie.
Ah ! où peux-tu bien alors chercher la volupté ?

Peut-être que si vous vous appuyiez là, sous les palmiers, contre la grille.
Sur les impeccables avenues seigneuriales,
tigrées de maillots féminins,
pleines comme des nids,
fusent des antres automobiles, pleuvent des écharpes de rires et de cris.
Vous êtes donc appuyés contre la grille :
lisse est sa chevelure
qui prend aux reflets de pourpre la teinte violacée
du palissandre :
humez l’odeur
d’amande
du laurier-rose
qui filigrane cette soirée :
et peut-être…

Mais rien non plus. Oh ! où donc est-elle ?

Voilà, il est plus tard, deux heures sont passées
depuis le coucher du soleil :
une cristallerie faite de brise et de neige brille sur la nappe,
dans le sèvres blanc et bleu le homard diapré
s’émulsionne de jaune mayonnaise.
La magnétique aventurière,
ses yeux de lune noircis à l’antimoine,
avec un accent de soie te parle légère
dans son délicieux français :
à l’improviste elle te décoche un gros baiser,
toute féline :
les serviteurs en livrée orange
restent hiératiques.
Par la fenêtre, en face de la marina
des halos électriques violacent des masses cubiques d’obscurité :
tu penses que là-bas
est la cité du jeu et que dans une roulette se cache « la Fortune »
(n’est-ce pas l’Unique que tu cherches ?…)
Mais il est tard. La nuit est invitante. Noue-toi à son corps parfumé.
Voilà ! Perdez-vous ! C’est bien.
Le ciel entre les franges des palmiers, ocellé de grosses gouttes bleues,
est tout pompeux
comme une immense roue de paon.
Ah ! peut-être que tu la touches, que tu la tiens. Oui ?

Mais rien non plus. Rien. Sornettes.
Tu sens ton incurable mélancolie.
Où se trouve-t-elle donc ?

Peut-être
que la volupté est tout entière
dans le désir.

*

Survivances
(Sopravvivenze, 1931)

.

Fenêtres illuminées (Finestre illuminate)

Fenêtres illuminées, odeur de foin
quand les villages se jettent à la rencontre de ton train,
remuant leurs maisons comme des mouchoirs.

Le soir est rentré, a mis la nappe.
Sous la fleur de lumière, mirage éblouissant,
un monde arrêté d’affections sereines.

Arrêté. Et il ne lève même pas les yeux.
Arrêté. Et il ne montre pas non plus du doigt
ton cœur qui passe en un éclair,
qui court, pauvre lièvre pourchassé.
Un monde. Tant de mondes. Chaque pays, chaque ville
qui se précipite à cet instant à la rencontre de chaque train
dans le silence de la nuit coud
ses fleurs de lumière
sur la sérénité.

Toi seul ne sais que partir,
ignores la douceur de s’arrêter,
le baume aux yeux brûlés.

Et soudain ton cœur
est le lièvre tremblant de palpitations
pris dans le piège à dents de la nostalgie.

*

Nature morte (Natura morta)

Banane dépaysée qui vieillis
sur l’infime horizon de cette assiette,
je ne connais pas d’autre oreille
qui donne une minute d’attention
à ton chagrin de Cendrillon.

Et pourtant ton exil s’afflige, je le sens,
de l’impur contact
de la bouteille qui a violé la nappe,
de la pipe éparpillant
son agonie de cendres.

Pureté des proximités, fortes ou tendres,
parmi les splendeurs originelles !

Feuilles, immenses et courbes pagaies
ramant avec un fracas de train
sur les vastes mers fabuleuses !

Perroquets d’arc-en-ciel,
singes de caoutchouc, gazouillis
de folles lavandières !

La nuit frappe ses silex,
fait jaillir des pupilles de jaguar,
la clairière s’illumine et disloque
ses membres dansants en frénésie diabolique
autour d’une Vénus noire.
Pureté des proximités fortes ou tendres !

Dans ton exil, banane dépaysée,
depuis l’horizon de porcelaine
du médiocre après-dîner
tu t’offres à l’oreille non distraite.

Et j’accueille ton chagrin
qui est le mien à rebours :
savoir que je ne ferai jamais
le voyage que tu fis.

*

Le rêve (Il sogno)

Cette fleur que je vis au bord
du rêve,
cela fait des jours que je la convoite,
mais personne ne l’a jamais vue
ni ne pourra la recomposer.

La tige ne montait-elle pas, résolue,
comme le déclic d’un ressort ?
Et le déploiement de la corolle,
d’un jaune d’ouraline†.
Elle baignait dans une lumière médiumnique
et soudain me promit doucement
quelque chose : le bonheur ?

Mais
diabolique
une main se tendit et l’arracha.

Cette fleur que je vis au bord du rêve,
depuis cette nuit je la convoite.
Pour la recomposer
je m’esquinte le cerveau
et j’effeuille j’effeuille – en vain ! – les traités de botanique.

ouraline : Verre traité à l’uranium, avec une teinte jaune ou verte, phosphorescent à la lumière ultraviolette. Le procédé connut une grande vogue en verrerie, avant que l’on découvrît les effets de l’uranium sur l’organisme.

*

Mirages (Miraggi)

Quand la lune confie ses muets mystères
au silence qui tend l’oreille,
des choses terrestres jaillissent des ténèbres
pour dérober cette magie.

Au fond de la chambre le miroir
peuple de pensées phosphorescentes
son ennui rectangulaire.
Des rails chevauchant la distance
veulent eux aussi s’engemmer
d’éclairs élégants.
Les étangs anachorètes
entre les cils des roselières
sont tout yeux pour épier.

Indifférente, la lune laisse faire.
Elle largue les amarres vers des rivages d’elle seule aperçus
entre des mystères que nul ne connaîtra jamais.

Les choses terrestres restent là
déçues comme des mains vides.

*

L’ombre sur le cœur
(Sul cuore, l’ombra, 1953)

.

Bonheur (Felicità)

Nous étions heureux cette nuit-là sous
la lune, mais si complètement
heureux que nous voyions – ou qu’il nous a semblé voir ?
ou bien étaient-ce, dans cette vaste blancheur, des ailes de lune ? –
les anges suivre notre ombre.

Notre ombre s’allongeait
mêlée sur le trottoir ;
et les anges chuchotaient, même eux
jaloux de notre bonheur,
si complètement heureux.

À ce moment, la lune
du cimetière dut faire dans une tombe
une ouverture de clarté :
quelle nostalgie de sortir
alors saisit les pauvres morts.
Ils n’avaient pas d’ombre, eux, puisqu’ils
sont l’ombre ; et soudain un coup de vent
nous souffla dans le dos, glacial.
Infinie pitié ! À voix basse, presque
timides devant la lumière éblouissante,
les ombres faites pour l’ombre
nous confièrent que de tout ce que
l’on voit sur terre,
ils n’enviaient rien tant ce soir
que nous deux, que ce fait que nous soyons heureux,
mais si complètement heureux.

Ils dirent cela. Et au moment même,
en les voyant, et en nous voyant nous un jour
futur, et ce soir trop beau sous
la lune, nous fûmes un peu moins heureux,
plus si complètement heureux.

*

Les choses non dites (Le cose non dette)

Et maintenant qu’après le baiser tu as pris
congé, et que les murs seuls restent
pour ma voix veuve,
cela me revient tout à coup,
ô cela qu’il m’importait de te dire
et qui dans le trop-plein resta prisonnier, et tomba, oublié.
Des riens chers que tu ne sauras jamais,
dissous avant d’exister.

De pensée en pensée, tristement,
j’aborde au temps où nous ne serons plus,
pense à des amants pareils à nous et de qui, lune égale
et vous, étoiles égales, vous recevrez
des confidences pareilles aux nôtres,
et les douces choses dites par nous, mon amie,
seront comme si
elles n’avaient jamais été…

Mais les autres, ah les choses non dites ?
que tu n’auras jamais sues, qui plus encore,
qui doublement – celles-là – seront comme si
elles n’avaient jamais été…

*

Le fils mort, à sa mère qui osa lui survivre (Il figlio morto alla madre che osò sopravivvere)

Mère qui étais tellement mienne hier, et qui es mienne encore
pour ce moi désert de terre
infime et décomposée,
je te retourne – prête attention ! – le fer dont aujourd’hui
tu me perças quand je te vis au soleil
respirer une rose
et rire – à qui ? à qui ? –, un moment
complètement oublieuse et donc plus à moi !

Cette terre que je suis a soif, mère,
de larmes seulement. Quand tu ris,
quand tu tournes la flamme noire de tes grands yeux
vers d’autres yeux, vers les fleurs, les eaux, le ciel,
tu n’es plus moi, je te sens, amarres larguées,
voguer sur les ailleurs, m’abandonnant
dans le gouffre qui n’a pas d’ailleurs.
Qui n’en a pas. Je souffre, je me tourmente impuissant,
je veux ta pensée qui est ma seule
vie estompée. Appelle-moi un monstre, je veux
ta souffrance, ta souffrance faite
de moi, qui est moi seul.

T’avoir liée à mes vides
ossements comme le fagot
docile, que tu ne fasses un pas sans
ce triste fardeau, ah ! que je suis pour toi.
Que pour toi il n’y ait plus d’allégresse
sur un sol qui couvre le fruit de ton sang !
Comment ? tu pourrais avoir de la joie
quand lui n’a plus de joie ? lui qui t’est né,
lui ton mort ?

Prostrée sur mon cippe,
oublie tout ce qui n’est pas
moi, ne vivant plus que de ma mort,
c’est comme ça que je t’aime et te veux ; jusqu’à
ce que vienne pour toi la joie licite de mêler
ta froideur novice à celle, habituée
aux pluies venteuses parmi les cyprès,
de ton monstre d’amour.

LA MÈRE RÉPOND :

Non, pas un monstre, mon fils ! Ô voix aimée,
il me semble t’entendre à fleur de cœur.
Le monstre, c’est moi. Je m’accuse d’avoir
souri : c’était le soleil !
Cher enfant, mes lèvres ne connaîtront plus
jamais cette courbe injurieuse.
Des larmes, rien d’autre, les larmes qui te nourrissent.
Mais que Dieu exauce le vœu longtemps formé
– que je descende à ta place et que tu retournes au soleil,
toi, mon fils, – oh alors !
pour toi rien d’autre que toujours le sourire
et le rire et la joie sans fin !

*

Toi seule, et pour si peu de temps (Tu soltanto, e per poco)

Bonheurs passés, à présent que vaut
votre inexistence de feuilles desséchées
qu’un tourbillon de vent
a balayées au loin pour toujours ?

Et qu’es-tu, avenir,
avec ce silence de sphinx ?
Ce sont des roses trompeuses que tes mirages ;
Qu’y a-t-il dans la si infime, si pauvre aumône
que fait encore ta main avare,
de sûr, d’irrécusable : la chute ;
et un abîme à la fin.

Ô ma douce, n’éprouves-tu point de peur
entre ces deux terribles
immensités de néant ?
Ô mienne, tout ce qui compte, c’est que le présent
ait ton cher visage.
Toi seule, et pour si peu de temps,
as le pouvoir de changer un avenir
d’ombre, jour après jour, heure après heure,
en présent solaire.
Ah ! aussi longtemps que tu le peux, grande petite chose,
toi, femme entre les deux murs du vertige,
aie pitié de ce cours d’eau
– eau trouble, vaine,
cours précipité, inéluctable –
qu’est notre vie humaine.

*

Portraits d’ancêtres (Ritratti d’avi)

Portraits d’ancêtres, combien, dans votre
glaciale fixité qui semble être un jugement
et intimide, combien
étrangers vous me paraissez à ce monde
en délire d’aujourd’hui.
Vous, d’un monde qui allait lentement,
étale comme le respir d’un sein
en un juste sommeil !

Vous êtes partis en silence, un jour. Sans
claquer la porte, et laissant derrière
vous un sillon de larmes…
Où sont à présent ces larmes ?
Évaporées comme l’eau d’une jatte
dans un midi d’été.

Et vous, et vous, ô miens, où êtes-vous allés ?
Aucun de ceux qui restait ne le savait.
Et vous ne le saviez pas non plus, vous. Ni moi, votre fils,
de cette époque orgueilleuse.
Savoir ! Je vous ferai bientôt signe
pour vous appeler à ma table
familièrement : pain, vin, choses
de cette terre qui fut la vôtre.

Ah joie cruelle de vous étonner,
comme des indigènes de la forêt vierge,
avec cette lumière
qui jaillit d’un bouton, avec la musique
qui sort d’une boîte étrangement,
et bien d’autres choses encore.

Ô vous inconnus ! Tout vous donner
de ce dont je me sens débiteur. Cette
existence dans l’aujourd’hui au soleil, à qui,
à qui la dois-je sinon à votre existence
avant ces ténèbres que vous êtes à présent ?
Ce trait de moi, cette couleur
des yeux, ce défaut étaient à vous,
je le vois, l’ai compris.

Comment me sont-ils venus ? Je passe un long moment penché
sur le voyage secret de votre
sang par des aventures aveugles comme
de fleuves souterrains, jusqu’à moi.
Rien. Je ne trouve pas. Prodige dont les voies
sont un mystère solennel.

Semblable à celui
de la graine infime qui devient
l’arbre gigantesque ;
à celui des astres
qui roulent au firmament, exacts.
L’esprit défaille devant un tel abîme
d’inconnu. Humblement, je ploie ce front
sur un brin d’herbe et ne parviens
qu’à balbutier, angoissé, un nom : Dieu.

*

Et la vie s’obstine
(E la vita si ostina, 1961)

.

Feux d’automne (Fuochi d’autunno)

Les arbres s’incendient de feux jaunes,
sur les fossés de peau verte et rugueuse.
En pâleurs d’agonie saignent
ces hortensias, et déjà tombent dans les vergers
les poires en chutes molles.
Demain la brume, à pas de velours
de gros chat gris, se coulera
dans les prés. Et puis ce sera le vent couleur
de pluie sale, l’hiver qui éteint tout.

Je me trouve dans ce midi fatigué.
Je suis cet automne.
Et déjà mes mains sont pleines d’ombre.

Mais voilà qu’à l’improviste je me souviens
de mêmes feux jaunes accrochés aux branches
des peupliers, et c’était le printemps !

L’image des peupliers en flammes jaunes s’estompe
et dans mon triste automne déclinant
qui enfonce ses pas dans les feuilles mortes
se superpose ton image,
ô feu si doux
qui m’est printemps.