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Prisme au crépuscule : La poésie de Sanz y Ruiz de la Peña

Nicomedes Sanz y Ruiz de la Peña (1905-1998) est un poète espagnol de la « Génération de 1936 », dans son courant « enraciné » (arraigado), c’est-à-dire insensible au charme douteux des avant-gardes qui bourgeonnaient à l’époque. C’est le courant qui fut le moins influent des deux, l’autre, le « déraciné » (desarraigado), éponge ouverte à toutes les influences extérieures, à la mondialisation littéraire, devant naturellement prévaloir dans un contexte de décadence européenne ; et devant tuer la poésie puisque, depuis que Paul Valéry a prétendu qu’il ne fallait pas écrire en vers ce que l’on peut écrire en prose, on n’écrit plus en vers, n’ayant toujours pas trouvé ce qui ne pourrait s’écrire en prose.

Nicomedes Sanz resta toujours attaché à la versification classique ; il est d’ailleurs l’auteur d’un traité de versification espagnole, Iniciación a la poesía: Manual de composición y de la rima (Initiation à la poésie : Manuel de composition et de la rime), datant de 1940 et, fait inouï, réédité en 2005 (aux éditions Maxtor, à Valladolid) : il semblerait que ce soit son seul livre réédité récemment et il est intéressant qu’un traité de versification classique soit réédité dans les années 2000 où aucun poète connu (mais reste-t-il même encore ce que l’on pourrait appeler des poètes connus ?) ne sort plus guère du vers libre. Pour la masse, pardon, le grand public et les poétereaux qui lui courent après, l’image d’un manuel de poésie est immanquablement celle façonnée par un vulgaire film américain dans lequel le professeur de lettres invite ses étudiants à déchirer un de ces manuels comme contraire à la liberté créatrice.

Le recueil dont nous nous sommes ici servi, Prisma en el ocaso (Prisme au crépuscule), date de 1980 et est entièrement composé de sonnets. Le sous-titre en est Doscientos sonetos (Deux-cents sonnets). Ces sonnets sont par ailleurs tous en vers hendécasyllabiques, un vers privilégié de la poésie espagnole depuis son introduction par Garcilaso de la Vega durant l’Âge d’or, supplantant l’alexandrin, lequel en espagnol ne s’appelle que vers dodécasyllabique, l’alexandrin espagnol, el alejandrino, étant le vers de quatorze syllabes. Tout cela et bien d’autres choses encore figurent certainement dans le traité de prosodie de Sanz y Ruiz de la Peña.

Si le susnommé recueil de 1980 est entièrement classique dans la forme, le fond en est toutefois avant-gardiste, tendance surréaliste. Le poète écrivait à cette époque de manière plus ou moins automatique, c’est-à-dire que son œuvre, dans sa dernière partie, est une expérience d’écriture automatique dans les formes classiques. Du moment que l’écriture automatique est légitime en vers libre et en prose, il est certain qu’elle peut tout autant l’être en vers classiques, dès lors que cette forme devient chez ceux qui la pratiquent une forme aussi d’automatisme. La seule différence est que l’on prend le premier mot qui vient avec telle rime ou tel nombre de syllabes plutôt que le premier mot qui vient…

L’automatisme de l’écriture de Sanz y Ruiz ressort avec évidence de la profusion de son œuvre. Les sonnets du recueil « Prisme au crépuscule » sont datés : ainsi pouvons-nous voir que le poète écrivit quatre sonnets le 4 décembre 1977, six sonnets le 5 décembre, un sonnet le 6, cinq sonnets le 7, etc. Dans la même période, il écrivait aussi des poèmes plus longs répartis sur plusieurs autres recueils, à l’instar de son Blasón de espuma (Blason d’écume) de cinq cents pages in-quarto, sorti en 1981. En introduction à ce dernier, le poète explique avoir conscience que le rythme torrentiel de sa production ne laisse guère le temps au public et à la critique d’absorber celle-ci mais, comme il ne sait pas faire autre chose qu’écrire, c’est en écrivant qu’il occupe son temps. Le format de son « Prisme au crépuscule », un volume déjà considérable selon les critères habituels, est tout ce qu’il peut concéder aux amis qui lui prodiguaient des conseils de modération… Ceci alors que le poète avait près de quatre-vingts ans. Quelques années auparavant, en 1976, Sanz y Ruiz avait publié un recueil de deux mille sonnets (Suma y sigue: 2000 sonetos) écrits entre 1970 et 1976… La critique n’a tout simplement pas eu le temps d’absorber cette œuvre (trop occupée par ailleurs à gloser sur le ptyx de Mallarmé).

Sanz y Ruiz de la Peña était membre, entre autres sénats culturels, de l’Académie royale de la Purissime Conception, qu’il vint à présider, dans la maison-musée de Cervantès à Vallavolid. C’est sur le site internet de cette institution que nous avons trouvé le portrait du poète en académicien, ci-dessous.

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Portrait de Nicomedes Sanz y Ruiz de la Peña par Luis Vivero Salgado. Source : Real Academia de Bellas Artes de la Puríssima Concepción.

*

À la fin j’ai compris… (Al fin, he comprendido…)

Ne viens pas me gâcher mes délices…
Je vis ma solitude à pleines mains,
libre d’intimations et de chaînes,
seul avec la douleur qui me caresse…

Sans désir de monter, sans avarice.
Les greniers à blé ont été nourris et sont pleins
de pressentiments d’honneur et de condamnations,
et la terre à semer, cette année, n’est guère propice.

Ne changez point cette paix : angoisse et boue,
en profonde intimité absorbée,
sans effusion extérieure… Oui, à ma manière…

À la fin j’ai compris que la vie
peut aspirer à plus… Urne scellée,
avec le concept pur, à sa mesure…

*

Mourir de nombreux maux (Morir de muchos males)

Tu peux mourir, Amour, de nombreux maux…
Si nombreuses déjà sont les diminutions dont tu vis,
et elles marchent sur tes talons pour que tu presses
le pas et fortifies tes défenses naturelles…

De rien ne te serviront tes efforts
pour sauver les apparences.
L’ennemi fouillera dans tes croyances
et rasera les fortifications les mieux fermées.

J’ai et garde des preuves suffisantes
et peux donner de pertinentes leçons
sur l’attaque et la défense… Je ne me fie pas

aux louanges ni aux promesses… Il y a toujours moyen
d’écraser les toiles d’araignée…
Dans notre cabane l’Amour se meurt de lassitude !…

*

L’histoire est terminée… (Finó la historia…)

Plus rien à dire. L’histoire est terminée.
L’Amour a ouvert un nouveau cycle de surprises
dans une poussière de flammèches, sans sépulture,
et parmi des chaînes liant ensemble les souvenirs.

À ton lutrin tu chantes victoire
et hisses des étendards lunaires,
sans savoir, ou bien sachant, que ce sont là
les griffes qui pèlent ta mémoire.

La lumière nous aveugle dans le désert
de sables mouvants et de dégoût
où tout le passé a l’odeur de la mort…

Une fosse ouverte : ton calvaire,
sur lequel pèsent des blocs de vide,
près des feuilles sans voix du calendrier…

*

Temps perdu… (Tiempo perdido…)

Je n’ai pu être jeune, je n’ai pu
larguer les amarres de la vie sérieuse
ni briser les rhizomes du système veineux
qui mes leste les ailes et m’a fait plonger.

Ni espoir ni foi. Je me suis soutenu
en nageant dans des adducteurs misérables,
saignant en fatigues la matière
qui, à force de lutter, s’est appauvrie.

Sans espace vital. Sans libre champ,
sans diversion. Seulement un homme-science
avec l’intime terreur de vivre mort.

Et plongé dans un guignon éternel,
je fais à la rigueur examen de conscience
quand déjà le départ presse…

*

Je vis déjà sans vivre… (Vivo ya sin vivir…)

Je sais que je ne serai plus… Je sais que je n’ai pas été
autre chose qu’un masque triste, ruine rase
d’une classe noble en déclin :
elle retourne à la source d’où elle sortit…

Je vis sans donner de prix à ce qui n’a pas été vécu…
Le molosse du néant m’effraie
et je baisse un regard las et profond
vers les parties intimes du passé perdu…

Je voulais semer l’amour… J’ai récolté le chagrin
dans les portées musicales de la luzerne… La terre
m’enchaîne à mon devoir de paysan…

J’efface le fourrage des rêves
pour amender ma dette avec des jusquiames
et rectifier la douane du destin mauvais…

*

Ta vie avec ma vie… (Tu vida con mi vida…)

Je vais à ta plénitude pleine de grâce
avec la soif de vivre à toi enlacé,
catapulte du désir, percuté
en verbe galopant et aube avenante.

La tentation s’affine, s’enchaîne
à ta naissance en moi, clameur et nid,
quand condoléances et désir ont coïncidé :
deux ferments d’amour dans un seul chagrin.

La destinée ainsi : ta vie avec ma vie,
en tempête sans loi, tendre, ailée,
ondulant sur la terre promise…

La terre qui nous offre ferment et joie
pour hisser la voile et donner au pré
une occasion de charismes et de liesse.

*

Des nuages comme au hasard… (Nubes como al azar…)

Je ne sais par quel défilé se devine
la lumière de la source qui lutte. Ciel
versant un lever de soleil dans une somnolence
de couleurs en brise obstinée.

Des nuages comme au hasard, ombre lasse
tombant avec décision, à contrepoil.
L’espace modulant la ritournelle
de la harde ailée, chantante.

Combien de fois, Amour, s’est répété
ce renaître à la constance
avec le même malaise, la même signification ?

Comme nos pas à travers le destin
de vivre sans vivre, lançant une pétition
à la nuit totale, déjà ombre et mort.

*

Moine à la fenêtre (Monje en la ventana)

Vers le lys intérieur qui s’illumine,
le verbe s’impatiente, vole loin,
revêtant la campagne de vieux ors
d’une pâque mi-canonique mi-fatiguée.

Méditer et sentir !… Quelle loi domine
les besoins de veiller dans les reflets ?
De concert ils avivent les conseils
d’archanges envahissant le brouillard.

Depuis ta grande fenêtre, tu règles la vie
avec tant d’intensité absorbée
qu’est infuse en toi l’éternité.

Tu sens passer le temps, si muet
que tu interprètes les fondations du néant
au moyen de ton inégalable et glorifié silence…

*

Sans arguments !… (¡Sin argumento!…)

L’horloge s’est arrêtée, sans arguments
sur lesquels appuyer sa théorie…
Naître-mourir, se battre chaque jour
avec la désolation et le mécontentement.

Feuilles d’hier, vaguant dans le vent,
naufragées du passé qui devient aigre,
sans nouvel espoir, sans patience
pour imposer une direction au verbe…

Loi des aiguilles… Désillusions
sillonnant, mains en avant, de lentes années
sans sûre assise, sans attache.

Jusqu’au non-être de chardons vagabonds
accrochant les secondes,
ouvrant de vastes espaces à la quiétude…

*

Nuit de Noël sans haleine… (Nochebuena sin hálito…)

Dans cette nuit de grésil et de brume,
l’âme est descendue aux abîmes
de la désolation… Sommes-nous les mêmes
ou bien les ténèbres nous ont-elles obnubilés ?

L’âme n’a point de cadastre
dans ce purgatoire de chiffres,
cyniques à outrance, d’agonismes
fertilisant l’enfer qui nous habite.

Nuit de Noël sans haleine, perdu
le rite majestueux, le souvenir
du temps du rêve, désagrégé…

Dans le méandre où je me perds
cette nuit, sans clameur et sans nid,
quand je mords les braises du chagrin…

*

Matin triste (Mañana triste)

Le matin est venu triste,
avec tant de brouillard distillant la peur
que le moteur ne carbure pas et je ne peux
sortir de mes précipices de paresse.

Montagne grise en mouvement, plane
surface d’étouffement où je m’enlise
en devinant des murs, où je reste
plongé dans une végétation méridienne.

Comment lutter ici contre le sort
si sa ductilité est la plus forte
et s’impose avec un mutisme tacite ?…

Pressant l’occasion, je marche à tâtons
pour voir si tu viens dans le brouillard, mon amour,
tirer de l’abîme ma nostalgie…

*

Tout s’en est allé… (Todo se ha ido…)

Et il n’y a plus d’au-delà… Tout s’en est allé
à la forge intacte de la mort,
à force de te rêver et de ne point t’avoir,
luzerne sans cœur, femme-oubli…

Pur désir de créer, sans retenue…
Il additionne des sommes au destin,
sous le temps qui pourrit et se convertit
en flambées de vent déchaîné.

Tu parles d’éternité… Nous allons vers elle
perdus dans la nuit la plus obscure
des nuits de fiel où nous vaguons…

L’Amour est passé devant la porte,
ouvrant les diaphragmes au petit bonheur,
accablant de plus de glace l’âme transie…

*

Chanson aimée… (Canción amada…)

Avec toi le nouveau matin est venu
vider des alphas dans ma maison déserte…
La neige dorée scintille sur le jardin…
Le cyprès s’insurge dans l’air…

Neige albant la terre… Il neige… Il neige,
peuplant de fantômes l’incertain
glaçon de souffrance de l’air figé
en lice avec la lumière, où il s’engraisse…

Tu es avec moi, chanson aimée,
dans la maison dotale, dans la silencieuse
liturgie de mon angoisse de crépuscule…

La neige est plus classique et plus fleurie
quand nous nous revêtons du nid où niche
notre outrance infinie et absorbante…

*

Les rigueurs se surpassent… (Aprietan los rigores…)

Cette nuit de fantômes et de froid
où la lune presse les fenêtres
avec une furie de recettes hivernales,
une ardeur méthodique : glace farouche.

La lumière est plus dure ; il est plus brillant,
l’amas de silex ardents
cousant sa furie sur les vitres
avec des glaçons qui perforent le vide…

Les rigueurs se surpassent. Janvier crie
son angoisse de spinelles dans les flaques,
où l’eau se livre prisonnière…

Notre sang supporte les surprises,
et les outrances flottent, bateaux légers
à la gangue d’étincelles sulfuriques…

*

Par le défi d’hier (Por el reto de ayer)

Tu viendras à l’hémisphère de la rose
par les hourras du passé reverdi,
au glacier de l’amour, présomptueux.
Avec notre printemps il se marie.

Air tu seras, créneaux vaporeux
où les nymphes tentent Cupidon,
filant de l’or affligé dans la source,
te sentant papillon entre mes bras…

Ô céleste occasion, vive fontaine
où la lumière devient amie du canal
avec des rives cardant un limon actif…

Amphore contenante et contenue,
dans le calvaire de l’attente,
en périples de givre défini…

*

Combien de générations ?… (¿Cuántas generaciones?…)

Ô le dialogue trivial avec les miroirs,
dans la poudre des siècles oubliés
qui pendent aux murs décrépits
entre des poussières d’hier et des ors anciens !…

De notre ne-plus-être indigents reflets :
enfance et jeunesse… Ides écoulées
en lent advenir, dessins effacés
en vacuités fanées… Déjà si loin !…

Combien de générations sont passées
par votre lune intouchée, surprise,
par ce cœur abandonné ?…

Avec un arrière-goût d’ennui, vous filez l’histoire
unie à ma propre raison d’être,
mon blason se décharnant dans la mémoire…

*

Pleurer à vent furieux… (Llorar a viento airado…)

La Muse est triste, souffrante,
le regard ambigu et caressant,
fatiguée de supporter la croix douloureuse
avec laquelle le destin l’intimide.

Pleurant à vent furieux par la blessure
où la peine ambulante se fait glose,
ceignant d’épines de fer la rose
de l’idéal fané de sa vie…

Couronne de rigueurs est son martyre,
moulu sur la meule des heures
avec des nerfs en brasiers de délire…

Et la méchanceté se repaissant à profusion
d’effroyables piquants de rigueur
pour ajouter de nouveaux reproches à ses maux…

*

Vers ma plage… (Hacia mi playa…)

Dirige ta barque vers ma plage,
bien-aimée du chant et du pouls,
de la paupière en alerte et du souffrant
ouragan des préceptes et des bénédictions.

L’oiseau du verbe défaille,
poussant des soupirs depuis le nid
où toi, colline merveilleuse, tu n’as pas voulu
m’assujettir au joug de la brise nouvelle de ta robe…

Il y a une lumière effervescente sur le chemin
qui conduit au matin depuis la nuit,
sillonnant l’équateur de l’aiguille des minutes.

Où la mort inquiétante se tapit,
demandant à l’âme glacée de se cacher
sous le vol épais de sa cape…

*

À la dérive urgente… (A la deriva urgente…)

J’invente la nuit ambiguë de ton deuil
en cassant l’oraison en deux :
du côté de l’ombre, tempêtes
brûlant sur ton flanc agité…

Dans ma commanderie de coquelicots, je sens
palpiter le tournesol des âges,
amour antique, rite de nostalgies,
attachant la pensée à la rétine.

Tu t’approches, Muse, à la dérive urgente
et tu cordes de soleil couchant la cloche
dans le cloître d’honneur de l’âme enfuie.

Quand l’automne naît dans ma souffrance
et les braises de l’air font si mal
que le frisson du départ sue du sang…

*

Clément enfer… (Manso infierno…)

Cet enfer sans diable où nous vivons
surmontant des ouragans de mépris,
artifice oscillant avec le trapèze
où nous nous couchons et souffrons…

Volontairement, ou sans le vouloir, nous nous supportons mal…
À notre hostilité nous donnons du prix
et en bassesses de fiel nous étayons l’épave,
retirant toute occasion à ce que nous fûmes…

La discorde a gonflé des transes de ciguë :
unique rente dont profite l’amour
dans ce dépôt d’ossements vivants…

Enchaînés à l’infect carcan
de la désillusion, où je recèpe
deux oraisons, pour un mal, prisonnières…

*

Cautères stellaires… (Cauterios estelares…)

Mon malaise de vertèbres antiques
désorbite des cautères stellaires :
petites fleurs de chiffon sur les autels,
oraisons de poussière et processions de fantômes…

Toi, cœur dompté, tu te signes
avec les ailes en croix. Tes avatars
grandissant à contrepoil, tissant des hasards :
braises dont tu témoignes par des flammes.

Tu voles à ras de strophe, absorbé en toi-même,
exilé de ton olympe concret,
sans volonté ni charisme certain…

Sans que la lumière ne t’anime ni ne te secoure,
sans coup de fouet qui pousserait l’âme vide
à explorer le flux du temps mort…

*

Sais-tu, mon âme ?… (¿Sabes, alma?…)

Tu n’as pas même où mourir. Tu as perdu
jusqu’à ta qualité volitive
et vas, avec ta terreur, suspendu
à la dérive de ta propre inclémence…

Tu n’arriveras pas à bon port. Tu as décidé
de dé-naître dans la nuit punitive
le malaise de chardons qui t’active,
sans trouver quoi que ce soit de conforme à ta souffrance.

Monde sans paix, sans écho, sans promesses…
Lisse et desséché calame… Pas une étincelle ?…
Tu déambules sans souffle, désolé…

Avec une si lourde pierre tombale sur ta poitrine
que tu ne jouis de sépulture ni ne trouves de lit
pour étendre ton corps en déroute…

*

Que la lumière fait mal !… (¡Cómo duele la luz!…)

Je vis au carrefour des déroutes
accumulées avec incertaine avidité,
quand le bateau est confié au port,
coque immobilisée, voiles déchirées.

Les voyages nouveaux ?… Loin encore
sont les plages candides. En désarroi
la boussole imprécise, et toujours endormie
l’humeur dolente où tu t’émousses.

Que la lumière fait mal et que fait mal
la vie à contrevent, quand la parole
moud son excès de dulie.

Et penser et passer. Où allons-nous
quand nous désertons de notre impulsion
et que l’agonie nous fait sienne davantage… ?

*

À fleur de peau (A flor de piel)

Douleur à fleur de peau… Douleur de crépuscule…
Ne vibre-t-elle pas dans tes entrailles, causant une blessure
d’autant plus profonde que plus vieille
et avec plus de morsures d’échec ?

Pas de temps pour vivre… J’écourte le pas…
Cette volonté rétrospective de fuir
qui nous aigrit l’âme, déjà perdue
la faculté de marcher à ras de ciel…

Épines et rochers… Le chemin
nous conduit à la paix et je ne veux plus
persécuter la mort qui nous réclame.

La lumière se déshydrate… Seule vit
l’essence tutélaire que nous décrit
la faux rédemptrice en quid de flamme…

*

Le cœur de terre (El corazón de tierra)

Depuis l’abîme de mon néant, je sens
le cœur de terre, à toi dû,
à présent qu’il dort en rocher dur,
de bonheur privant la pensée.

La chair fait mal, la chambre fait mal,
de l’âme tuméfiée, lugubre.
Et tant de mort alentour m’intimide
que je me reproche des horreurs, assoiffé d’amour.

L’instinct est tombé au carrefour.
Je concerte l’au-delà avec ton absence,
la chair macérée dans le vide…

Cette misère que t’impose le monde,
dans laquelle je n’ai plus de présence,
pure friche l’âme sans fond…