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Plus Ultra : La poésie d’Antonio de Zayas
Plus Ultra, « Plus loin », est la devise de l’Espagne, adoptée par l’empereur Charles-Quint au début du 16e siècle. Le poète Antonio de Zayas (1871-1945), dont nous avons déjà traduit un sonnet ici, en fit le titre de l’un de ses recueils, publié en 1924.
Antonio de Zayas y Beaumont, duc d’Amalfi (le duché espagnol d’Amalfi, du nom de la cité italienne, ne se rattache à aucune terre depuis que ces possessions des Habsbourg d’Espagne en Italie ne sont plus espagnoles), est un poète du modernisme, très lié aux frères Manuel et Antonio Machado. Parmi ses autres amis, on retiendra également le poète Francisco Villaespesa que les habitués de ce blog connaissent bien (après six billets de traductions) et qui a dressé de Zayas un portrait poétique : « émailleur de lyriques joyaux / que Benvenuto lui-même eût envié… » (esmaltador de líricos joyeles / que el mismo Benvenuto envidiaría…).
L’œuvre du Français d’origine cubaine-espagnole (Cuba fut espagnole jusqu’en 1898) José-Maria de Heredia (1842-1905), un maître de la poésie parnassienne de langue française, marqua fortement Zayas, qui la traduisit en vers castillans. Sa version des Trophées, du Romancero et des Conquérants de l’or parut en 1909. De plus en plus nationaliste au cours de son évolution intellectuelle, Zayas, en traduisant Heredia, affirmait ne pas se placer sous influence étrangère. On peut difficilement nier que l’inspiration de Heredia se portât beaucoup vers le monde hispanique.
Ambassadeur de carrière, Antonio de Zayas a nourri sa poésie de ses voyages, dans une veine impersonnelle, parnassienne, comparable à celle du poète français traduit par ses soins. Son recueil Plus Ultra fut écrit alors qu’il se trouvait au Mexique ; c’est une évocation de ce pays ainsi que de la Conquête espagnole en Amérique.
Les sources dont nous nous sommes servi pour nos traductions sont (1) une anthologie poétique, Obra poética, publiée par la Fundación José Manuel Lara en 2005, ainsi que (2) le recueil Plus Ultra susnommé.
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Joyaux byzantins
(Joyeles bizantinos, 1902)
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Le pont des soupirs (El puente de los suspiros)
Sur le canal d’argent que l’air doucement frise
et qui baigne les colonnades aux arches byzantines,
devant le temple d’or de Saint-Marc,
au rythme de sa rame glisse la gondole.
Sur les vieilles corniches des graves palais
où résidèrent les Doges émules des Califes
les étoiles répandent leurs scintillantes splendeurs
et les oiseaux suspendent leurs nids de cendre.
La nuit se pare de velours et pierreries ;
les tournoiements versatiles de la brise diffusent
les harmonies tamisées de la sereine mandoline ;
un parfum de rêve engourdit les lieux,
et passant sous le pont fatidique
dans sa voûte on entend des soupirs angoissés.
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La mer Égée (El mar egeo)
Le ciel pâlit, quand sur la mer calme
se réfléchit la lune, toutes couleurs s’estompent,
et comme une corbeille de fleurs fanées
apparaît la patrie de la Vénus de Milo.
Les belles sérénades qu’écrivent avec leurs queues
dans le cristal diaphane d’invisibles Néréides
arrachent aux rires bleus des vagues
un écho comme d’Iliades et d’Énéides.
Le vaisseau va rapide aux baisers du couchant
tandis que la nuit efface le sommet du Parnasse
montrant au loin ses confuses beautés.
Dans les voiles gonflées gémit la brise légère
et, par le luth sublime du rêve évoquées,
de l’onde émergent les âmes des Muses.
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La Propontide (La Propóntida)
Les brises, soupirant des sifflements de serpents,
glissent le long de la côte cristalline de Stamboul
et caressent les visages de gigantesques pierres taillées
qui furent hier des murailles, à présent glorieuses ruines.
Avec un roucoulement monotone, en tremblant elles sanglotent
dans les brunes tuniques de jardins oubliés ;
et s’occultant par intervalles batifolent tumultueuses,
face aux plages, des pléiades de voraces dauphins.
Alors, quand la lune scintille sur la mer Propontide
et qu’un vaisseau s’annonce de sa voile blanche,
le silence murmure le monologue du souvenir ;
et sur le dos diaphane du cheval du vent,
au-dessus des eaux traîne sa sanglante hermine
l’ombre invengée du dernier Paléologue.
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Bechiktasch (Bechik-Tach)
Ndt. Bechiktasch, en turc Beşiktaş, est un quartier d’Istanbul situé sur le Bosphore.
L’avenue silencieuse du solitaire Bechik
festonne du Bosphore les limites ombreuses,
bordée de portes de yalis et de jardins
qui murmurent dans le soir une rumeur de prière.
Inondant le paysage de couleurs prodigieuses
et tapissant d’émeraudes les prés riants,
le soleil brode avec de vagues filigranes d’ombre
de gris liserés de dentelle sur la route blanche.
En groupes bigarrés, les femmes voilées,
oubliant les morosités et les plaisirs du harem
se promènent assises dans un lent tramway ;
tandis que, tout sourire, un eunuque éthiopien
regarde le jeune homme qui lance au galop
la joie pleine de grâce de son coursier arabe.
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Narguilé (Narghilé)
Le fumeur en vagues réflexions s’abîme
dans un café du port, regardant le soleil couchant
décomposer dans le cristal du narguilé limpide,
en disparaissant, les polychromes nuances du prisme.
Un blanc turban ourle son fez aux teintes rouges
et, parmi l’épaisse fumée du tombéki,
comment savoir ce qu’il sent, présumer ses pensées
dans les troubles pupilles de ses yeux ?
Est-ce un satellite de la Jeune-Turquie,
un ouléma fanatique ou bien un vil espion
qu’avec prodigalité stipendie le Trésor impérial ?
Savoure-t-il de doux rêves ou l’ennui le rend-il amer ?
Lui-même ne le sait pas : et seul au milieu des gens
il célèbre son quotidien colloque avec la fumée.
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Le tombeau d’Alexandre (El sepulcro de Alejandro)
Jamais les paladins que commanda Lysandre
aux accords belliqueux des sonores clairons
ne se virent célébrés en marbres pentéliques
comme le furent les intrépides satellites d’Alexandre.
Sur la tombe du héros, d’anonymes ministres
du burin sculptèrent les rapides phalanges
qui marchèrent en triomphe du Bosphore jusqu’au Gange
au son cadencé des sistres laudateurs.
Mais le temps inexorable a défraîchi les polychromes
nuances qui ornaient aux temps heureux
la demeure funèbre de l’Arès macédonien ;
et d’elle ne reste aujourd’hui que des statues mutilées
qui de la vie éphémère et ses vaines pompes
portent à la postérité le témoignage solennel.
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Le palais de Beylerbey (El palacio de Beylerbey)
Sur la côte où passa Darius Hystaspès,
espace cristallin du Bosphore de Thrace,
somnole le palais d’été de Beylerbey
aux porphyres veinés et jaspes rutilants.
Des chapiteaux corinthiens surmontent ses colonnes ;
ses balustres reposent sur des corniches ioniennes,
et les brises légères parviennent jusqu’à ses salons
à travers de labyrinthiques dessins de cèdre.
Les danses arabiques et les élégances hellènes
étaient là saturées des parfums que répandent
l’œillet pourpre et le magnolia de neige ;
aujourd’hui, éteint le crépitement des fêtes bachiques,
le vent, évocateur décrépit des vieilles gloires,
descend des vertes collines d’Anatolie.
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Paysages
(Paisajes, 1903)
.
Le rocher des amoureux (La peña de los enamorados)
Ndt. Paysage andalou. Il s’agit d’un toponyme de la province de Malaga.
Tête de gisant
ayant pour verte sépulture
une vallée paisible, repose
sous le cloître d’azur le haut rocher.
Son dur et rugueux
épiderme couleur de violette
conserve prisonniers
des souvenirs d’amours fatales.
Ses lignes sévères accablent
l’âme triste ;
il semble regarder et parler,
sans yeux ni langue.
Les mauresques rocs marmoréens
au clair de lune paraissent
les dos aux blanches toisons
de dociles brebis.
Entourés d’ombre,
les froids troupeaux de pierre
compriment l’âme
et réveillent le songe.
Et l’esprit exalté, confus,
admiratif est traversé par
des amours de Zaïdes sévères,
des fiertés de hautaines Zulémas,
des accords d’harmonieuses douçaines,
des tonnerres de trompes guerrières.
Ce sont des astres clairs
dans la nuit fiévreuse du Poète !
Et de sa Muse
les uniques fêtes sont
les vagues bleues du rêve
qui donnent répit aux chagrins profonds !
Moments d’oubli
de l’âme qui pense !
*
Reliques
(Reliquias, 1910)
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Prologue I (Prólogo I)
Espagnol et chrétien, par la Foi riche,
jamais je n’offusque mes yeux à scruter l’avenir
ni ne cherche à goûter les dépravations,
ni n’alambique en paroles des paradoxes.
Je m’applique à damasser l’or et l’acier,
un dire noble en un sentiment ardent.
Il fermente aussi dans le creuset étrusque,
l’hydromel des hordes d’Alaric !
Crinière flottante, tête impavide,
orgueilleux galope mon Pégase
sous le soleil des champs de Castille.
Plaise à Dieu qu’en mes vers la beauté
brille comme dans le verre de cristal
l’ambre luit des ceps de Montilla !
*
Plus Ultra, 1924
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Vasco Núñez de Balboa
Ndt. Conquistador espagnol qui traversa l’isthme de Panama et fut le premier Européen à voir l’océan Pacifique. Voyez Les Conquérants de l’or de José-Maria de Heredia : « Et quand Vasco Nuñez eut payé de sa tête / L’orgueil d’avoir tenté cette grande conquête… »
La « malheureuse princesse » dont il est question à la quinzième strophe est Jeanne la Folle (Juana la Loca), fille de Ferdinand et d’Isabelle, et mère de Charles Quint, très éprise et jalouse de son mari, Philippe de Habsbourg, et très affectée par la mort de ce dernier en 1506. Les « couronnes », au pluriel, sont celles de Castille et d’Aragon.
La fin du poème évoque le Canal de Panama (« l’Isthme brisé par Mercure »), inauguré en 1914.
En une province de chênes vermeils
donnant un fruit amer, une écorce utile,
avait ses nobles quoique pauvres lares
ce capitaine au courage insolite
qui, au mépris des dangers de la mer
et en lutte contre une nature hostile,
planta sur le rivage d’un océan inconnu
les étendards royaux de la Castille.
De teint brun, les yeux pénétrants,
le sourire à la fois affable et dédaigneux,
le visage trahissant la volonté
de commandement dont déborde son esprit,
le regard perdu sur les chaumes
dans la caligineuse lumière du soir,
rêvant de gloire et de liberté,
Vasco franchit le seuil de sa vieille demeure.
Défraîchi le velours de son tabard,
Oxydés les ergots de ses éperons,
il confie son avenir à la lente
voilure d’une intrépide caravelle.
Et comme s’il était misérable bâtard
ayant perdu tout espoir d’une part d’héritage,
il part affronter les chocs de la fortune
sans autre défense que l’estoc paternel.
Esprit fertile, volonté forgée
par le marteau d’une jeunesse pauvre,
avec l’humeur joyeuse d’un bon camarade
aplanissant les difficultés, le caudillo
escalade des rocs, nage dans des marécages,
décharge son arquebuse, ébrèche son couteau,
étanche sa soif à des sources vénéneuses,
s’extirpe des anneaux des serpents.
Il se couche la nuit au flanc de falaises
percées d’antres lugubres,
dort bercé par le rugissement des bêtes
et se réveille mordu par des reptiles.
Hostiles au passage de son armée, il traverse
prairies, fleuves, forêts, cordillères
et creuse à ses acolytes des sépultures
dans la boue des jongles fétides.
Au bord de traîtres sables mouvants,
il forme en cercle les chevaux
dont les sabots et la peau
se gangrènent sur des chemins horribles.
Il contourne d’assourdissantes cascades,
s’enveloppe d’infectes guenilles,
soulage sa faim avec d’âpres racines,
lave ses blessures dans de troubles marais.
Bientôt il contrecarre – le ciel ayant voulu
le prédestiner à cette héroïque entreprise –
les calculs avaricieux d’Enciso
et le funèbre horoscope de Nicuesa.
Et dur à la souffrance, concis dans le commandement,
rapide au combat, circonspect dans l’assaut,
sans trêve il élargit ses horizons,
fendant des rochers, abattant des bois.
Le pied sûr, l’âme impavide,
alerte la nuit, avançant le jour,
avec dans l’âme la foi du Nazaréen
et sur les lèvres le nom de Marie,
il oppose au découragement de ses gens
le mors de son énergie d’airain,
en flattant leurs tympans
d’une source sonore d’où jaillit l’or et la prospérité.
Source illusoire, de bouche en bouche
répétée par cent générations,
poussant à de téméraires exodes
des bandes entières de lions hispaniques.
Source mensongère dont l’eau caresse
des filons mirifiques d’or et de saphirs,
aiguillon d’Alcides et de Persées
d’Europe chargés de trophées.
Mais Dieu ne voulut point punir
cette énorme jactance par l’échec ;
il voulut que le monde gardât pour toujours
la mémoire de l’Espagne aux régions du Ponant.
Et ce fut par un calme soir d’automne
que, ralenti, le pas vacillant,
Vasco vit depuis un sommet escarpé
le soleil plonger dans une mer inconnue.
Immense et vierge mer ceignant
les volcans des îles nippones,
aérant de brises salutaires
l’éden réservé à Magellan,
et louant éternellement les titans
qui écrivirent cette odyssée hispanique
en subjuguant les bourrasques et les bas-fonds
de la quille immortelle de leurs vaisseaux.
En voyant ce panorama superbe,
oubliant les ronces du chemin,
le cœur fort du héros s’enflamme
et d’une foi sublime, tombé à genoux,
il acclame avec ferveur sa Patrie et son Roi,
lançant au ciel des yeux émerveillés.
Car c’est à la grâce de Dieu, non à son propre effort
qu’il attribue ce miracle !
À peine la naissante aurore
a-t-elle revêtu de voiles blancs l’horizon
que l’armée rédemptrice
descend les flancs du mont.
Elle surprend dans les taillis et précipices
une faune rugissante, une flore émolliente,
et va poser le pied sur la mouvante ligne
que dessinent les vagues sur la plage.
Et quand, annonciateur de la nuit obscure,
surgit l’astre du soir, Vasco,
cuirassé son torse herculéen
et son front capable casqué de fer,
résolu brandit de sa main dure
qui abattit plus d’un chêne en son enfance
le drapeau de Castille en entrant jusqu’à la poitrine
dans le lit profond de cette mer nouvelle.
Clamant le nom des trois Personnes
de la Divine Trinité
vers l’immense azur qui sillonne
les différentes zones du globe d’un doux murmure,
il offre sa merveilleuse découverte aux couronnes
posées sur le front de Saint Ferdinand,
alors parure de malheureuse princesse
prise de mal d’amour et langueur.
Donnez la gloire, Seigneur, à l’acharné
capitaine qui dans ses jours précaires
conjura les perfidies et vexations du sort
par des flagellations et des oraisons :
et immolé dans l’ergastule d’Acla
par la couarde jalousie de Pedrarias
a légué à la postérité un nom
qui vivra tant que des hommes vivront.
Donnez-lui aussi de pouvoir, sur l’immense
piton de l’Isthme brisé par Mercure,
voir son effigie copiée sur le chenal
unissant les mers de Valdivia et de Soto :
et donnez aux jeunes peuples de l’Ouest
de faire devant son image le vœu
de semer chez les enfants d’Amérique
l’amour des exploits espagnols.
*
Bernal Díaz del Castillo
Ndt. Conquistador espagnol et chroniqueur de la conquête du Mexique dans son Historia verdadera de la conquista de la Nueva España (Histoire véridique de la Conquête de la Nouvelle-Espagne), qui fut traduite en français par le poète José-Maria de Heredia.
Le « dieu bifront » est Janus, dieu à deux faces, comme la destinée, qui réserve du bon et du mauvais. La « sage industrie de Cadmos » est l’écriture, Cadmos ayant selon la légende introduit l’alphabet en Grèce.
Ce fidèle chroniqueur, cet homme de guerre,
dont l’indocte plume semble un rameau
d’agreste romarin ou de genêt sauvage
d’une colline parfumée par l’air de la montagne :
par l’air montagnard de la terre hispanique
qui convertit en colosse l’enfant le plus chétif,
donne force aux poings, noblesse à la contenance
et bannit de l’âme les passions viles.
Ce soldat audacieux qui sait se servir de son bras,
aiguise son regard et subjugue ses nerfs
dans la guerre contre les superbes caciques aztèques,
que Cortès en de profonds abîmes précipite,
ne récite point en vers les exploits qu’il observe
mais les raconte en prose, écrivant lentement,
sans réminiscences de l’art d’Horace
ni des préceptes du Stagirite.
Familier avec le dieu bifront,
contemplant avec équanimité les revers et les prouesses,
il se consume dans les déserts, se restaure dans les prairies
et voit à chaque aurore un horizon nouveau.
Et se liant d’amitié pour Clio sur les monts,
il arrange ensuite dans la forêt les souvenirs
qui couchés sur le papier le feront rival d’Hérodote
et digne de foi comme Xénophon.
Le concept juste, l’émotion vibrante,
le jugement impartial, le ton modéré,
ses récits libres d’envie et de colère
ont la pureté d’un bleu matin
et coulent diaphanes comme l’eau d’une source
en ruisseaux sur les flancs d’un vallon vert,
imprégnés d’une odeur de romarin,
d’une couleur d’œillet, d’une saveur de pomme.
Sa mémoire claire n’oublie ni ne ment ;
la rudesse même de ses expressions
sait s’emparer des cœurs,
comme jamais ne le fit un discours éloquent.
À la manière d’un homme des champs il dit ce qu’il sent :
à la manière d’un gentilhomme il sent ce qu’il dit,
sans que jamais ne se mêle à ses commentaires
la basse flatterie ni l’insulte malsonnante.
Sa plume conte ce que fit le fer
explorateur obstiné des sylves et marais,
avec la lucidité d’un bon paysan,
la spontanéité d’un bon chevalier.
Et, tête ferme, cœur entier,
disert dans les armes et profane dans les lettres,
il agrémente la vigueur du soldat, la foi du chrétien
des plaisanteries de l’aventurier.
Béni soit cet hidalgo aux vues sagaces,
au tact prodigieux et à l’oreille alerte,
qui par la sage industrie de Cadmos a su
dépeindre la conquête de la Nouvelle-Espagne.
Gloire au bon soldat, honneur au chroniqueur
qui interprète les exploits espagnols
avec l’austérité d’un anachorète
et la certitude d’un évangéliste !
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Devant le portrait d’une religieuse (Ante el retrato de una monja)
Ndt. La coiffe religieuse de « fleurs tropicales » renvoie à l’art pictural de Nouvelle-Espagne des « religieuses couronnées » (monjas coronadas, voyez le tableau ci-dessous à titre d’exemple) où des religieuses de renom sont représentées avec de grandes couronnes de fleurs.
La nonne dont il est question dans le présent sonnet n’est pas aisée à identifier, pour le profane que nous sommes : il pourrait s’agir de María Luisa de Toledo, fille du marquis de Mancera, vice-roi de Nouvelle-Espagne (cf., dans le poème, « sa mère la Vice-Reine »), mais elle prit le voile à Madrid et internet ne semble pas connaître un portrait d’elle en religieuse couronnée.
Le « Palais du bon repos » est le royal Palacio del Buen Retiro à Madrid.
Pourquoi cette vierge que je vois parée
d’un jardin de fleurs tropicales
a-t-elle adopté cette coiffe
plutôt que la césarienne pourpre de Tyr ?
Pourquoi, si elle sut hier arracher
plus d’un soupir à de noctambules troubadours
ou rendre fous de splendides seigneurs
dans les fêtes du Palais du bon repos,
ne peigne-t-elle plus aujourd’hui les cheveux dorés
qu’auprès de sa mère la Vice-Reine
elle montrait, contour de son teint de rose ?
Parce que Celui de qui vient toute beauté
en hâte est passé par ces bocages†
et lui donnant la main la nomma son épouse !
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† Vers de Saint Jean de la Croix, traduction française par Jacques Ancet.
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Photo : Madre Águeda Bárbara de San José, anonyme, 1765. Source : Banco de la República de Colombia (banrepcultural.org). Ce tableau montre une monja coronada sur son lit de mort mais il existe aussi des portraits vivants, comme celui que décrit Antonio de Zayas.

