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La Reine du flamenco et autres poèmes de Joaquín Alcaide de Zafra

Le poète espagnol Joaquín Alcaide de Zafra (1871-1946), d’origine sévillane, appartient au cercle moderniste autour de Francisco Villaespesa. Il fait partie de ces écrivains andalous militants (c’est une façon de parler : il s’agit d’un militantisme poétique) qui se réunissaient au café madrilène La Colonia Patricia, parmi lesquels figurent Villaespesa, Juan Ramón Jiménez, Salvador Rueda, Manuel Reina, au tournant du siècle.

Les deux recueils dont sont tirées les présentes traductions datent de 1896 et 1899. Le premier, Chants de la Giralda, a, comme son titre le laisse prévoir, un côté « costumbriste » assumé. Le second, Trèfle, est la publication qui introduit définitivement Alcaide dans le mouvement moderniste (introduit en Espagne, on le sait, par le Nicaraguayen Rubén Darío).

Portrait de Joaquín Alcaide de Zafra
par Julio Romero de Torres, 1915

*

Chants de la Giralda : Notes sévillanes
(Cantos de la Giralda: Notas sevillanas, 1896)

.

Hispalis

Ndt. Hispalis est l’ancien nom de Séville ; il s’agit du nom wisigothique Spali latinisé.

À l’excellent Don Rafael Conde y Luque

– « Séville pour le plaisir,
Madrid pour la noblesse,
pour les soldats Barcelone,
pour les jardins Valence. » –

Seul celui qui n’a jamais vu Séville
peut comparer la perle
d’Al-Motamid avec des villes
qui, si elles font honneur à l’Ibérie,

jamais ne pourront l’égaler,
car elle les dépasse toutes,
étant non seulement du Bétis1
mais aussi de l’Espagne la Reine.

Car il n’a jamais existé et n’existe pas
de noblesse comparable à la sienne,
de soldats comme ses fils
ni de vergers comme ceux de sa vallée.

Car la ville dont les murs
sont reflétés par le Guadalquivir
résume tout ce qui est grand,
résume tout ce qui est beau.

Hercule, de ses fondations
pose la première pierre,
et Jules César ceint
ses murailles de tours.

L’Arabe tombe en extase
en voyant sa beauté
et la convertit en jardin délicieux
comme jamais n’en rêva le Prophète.

Un Roi Saint la reconquiert
seulement pour y mourir,
car le destin la lui avait refusée
pour son berceau.

Celui qui a vu Séville,
si une âme respire en lui,
c’est seulement mort qu’il la quitte,
car elle est le ciel sur terre !

Ville de Juste et de Rufine2,
ville de ces potières
qui brillent dans ton ciel
comme deux claires étoiles,

de Herménégilde, de Léandre
et d’Isidore, luminaire
du christianisme, orgueilleuse,
tu arbores leur gloire sur ton front.

Car Dieu souhaita voir assis
à la droite de son trône
tes fils, pour récompenser
tes vertus excellentes.

Mère d’artistes, de caudillos,
de rois, de saints et de poètes,
l’Immortalité a ton nom
écrit dans son livre.

Car si tu leur donnas la vie,
eux, par leurs œuvres
à la renommée impérissable,
t’offrirent honneur et prestige éternels.

Hever, par Allah inspiré,
t’embellit de l’élancée
Giralda, que le monde admire
comme sa tour la plus belle.

La gente arabique te donna
des palais de filigranes
dont les palmiers éventent
les murs de leurs palmes.

Pour elle tu fus toujours
l’odalisque favorite,
la sultane du sérail
dont ils firent l’Espagne.

D’Al-Motamid et d’Ibn Ammar
les cantiques résonnent encore
dans les patios de l’Alcazar,
disant leurs bonheurs et leurs peines,

car ils ont chanté à ta louange
les élégies les plus sensibles
au son harmonieux
de leurs guzlas3 mauresques.

Sur ton blason un Roi Sage
mit l’emblème le plus respectable
car tu devais bien cet honneur
à l’auteur des Querelles4.

De Don Pedro de Castille
les amours et les sévères
justices t’ont adorné
d’un manteau de légendes.

Et la foi d’un Grand Chapitre
éleva sur les pierres
de ta mosquée islamique
l’église la plus artistique,

temple que les hommes
doivent vénérer, ne fût-ce
que parce qu’en son sein,
les deux genoux en terre,

adorèrent le Dieu éternel
le peintre des Puretés,
Velásquez, Roldán, Pacheco,
Montañés, Lope de Rueda,

Hita, Baltasar de Alcázar,
Mañara, Vásquez de Leca,
Jauregui, Cetina, Arguijo,
Rioja, Daoiz, Herrera

et Bécquer, le rêveur
Bécquer, ton poète génial,
qui aspirant dans l’autre vie
à goûter la gloire éternelle

demandait qu’on l’enterrât
sur la rive du Bétis ;
car en toi, ville aimée,
se trouve le ciel sur terre !

1 Bétis : Nom latin du fleuve Guadalquivir, qui traverse Séville.

2 Juste et Rufine : Deux martyres chrétiennes originaires de Séville et particulièrement vénérées dans cette ville. Suivent dans le poème une kyrielle de noms célèbres de Séville, dont nous laissons au lecteur le soin de rechercher l’identité si cela peut éclairer sa compréhension.

3 guzla : Il est temps de fournir quelques explications sur ce terme qu’on trouve déjà dans nos précédentes traductions de Francisco Villaespesa (« au triste son de la guzla / l’aveugle maure chantait ») (x) comme de son « disciple » et ami Federico de Mendizábal (« Les échos de mystérieuses qasidas / dans les guzlas, prophétiques, tremblaient ») (x) et peut-être d’autres poètes espagnols « alhambristes » en plus d’Alcaide de Zafra dans le présent poème. La guzla est un instrument de musique des Balkans et non de l’Andalousie mauresque. L’origine de cet emploi curieux par les poètes espagnols semble être le recueil poétique de Mérimée La guzla, de 1827, que l’écrivain français fit passer pour un recueil de chants illyriques et balkaniques traditionnels alors qu’ils étaient de sa plume. On connaît l’intérêt de Mérimée pour l’Espagne (Théâtre de Clara Gazul et surtout Carmen), un intérêt qui, malgré ce que nous écrivons plus loin de la « muraille » des Pyrénées (cf. note du traducteur au poème « La Reine du flamenco »), n’a pas laissé les Espagnols complètement indifférents. Son recueil La guzla semble avoir suffisamment marqué certains poètes ibériques pour qu’ils retinssent le mot et l’appliquassent à l’Andalousie arabo-musulmane par licence poétique.

4 l’auteur des Querelles : Le livre des querelles (El libro de las querellas) est une œuvre en vers longtemps attribuée au roi Alphonse X « le Sage », aujourd’hui considérée comme apocryphe. Alphonse X passe pour avoir conçu les armoiries de la ville de Séville, qui représentent le roi Ferdinand III entouré de saint Isidore et saint Léandre.

*

La Giralda

En la terre bénie
que baigne le père Bétis,
dans la ville d’Espagne
qui fut toujours florissante,
entre cent mille beautés
s’élève vaporeuse
la tour la plus belle
que l’homme ait imaginée.

L’Arabe Hever
la conçut et réalisa ;
il imagina cette splendeur
en un rêve céleste ;
il vit Allah qui lui dit :
« Bâtis une tour si précieuse,
si belle et si gracieuse
qu’elle soit sans rivale. »

Il en resta confondu
car il ne savait
quelle formait aurait
un minaret si magique ;
mais Allah fit tomber un voile
et lui montra dans l’instant
la tour la plus colossale
qu’Il put imaginer.

Et l’habile mathématicien
en suivant le modèle
qu’Allah lui avait montré
édifia cette tour ;
c’est ainsi que depuis lors
la mauresque Séville
a la cinquième merveille
que possède le monde.

Lorsque la foi chrétienne,
dans un élan gigantesque,
construit l’altière,
la belle Cathédrale,
elle couronne de cloches
le haut minaret
afin qu’elles chantent fièrement
Dieu avec des langues de métal.

Et sur le corps maure
trois autres cloches furent placées
s’élevant vers les cieux ;
et ce fut l’orgueil de Séville
que cette tour
élancée, élégante,
triomphalement couronnée
par la statue de la Foi.

Comme toi, tour splendide,
les Sévillanes sont
à la base musulmanes
et chrétiennes au sommet :
leurs corps sont de femme arabe
mais sur leur beau front
règne victorieuse
la religion chrétienne.

Quand je regarde extasié
tes lignes enchanteresses,
mon imagination voit
deux filles de Triana5,
les belles patronnes
de cette cité divine,
sainte Juste et sainte Rufine,
qui sont tes soutiens.

Quand loin de mon Espagne,
loin de Séville,
cette grande merveille
où je suis né,
peinte ou sculptée
je vois la Giralda,
il me semble voir
le drapeau rouge et or.

Car elle me rappelle
la patrie bien aimée,
le ciel de saphir
de ma chère cité ;
les bosquets d’orangers
qui poussent dans ses jardins,
les bateaux qui se bercent
sur le Guadalquivir.

Ses places et ses parcs,
ses églises séculaires,
ses beffrois et ses minarets,
son alcazar oriental,
ses patios qu’ornent
le nard et les roses,
aux murmurantes fontaines
de limpide cristal.

Ses rues sinueuses
qui font venir à la mémoire
l’histoire antique,
des légendes d’un autre âge,
souvenirs de jours passés
heureux ou fatals
que renferment les annales
de ma ville si belle.

Pour cette tour magnifique
je t’admire et te vénère,
et je meurs de chagrin
quand je suis loin de toi ;
aussi, tout Sévillan
t’appelle son trésor,
et c’est pourquoi je t’adore
avec folle passion.

5 Triana : Un quartier historique de Séville.

*

La Reine du flamenco (La Reina del Tango)

Ndt. La juxtaposition du titre original et de notre traduction appelle forcément une explication. En espagnol, le tango est certes le genre musical et la danse l’accompagnant, d’origine argentine, qui sont bien connus sous ce nom en France et dans le monde entier, mais c’est aussi une variété traditionnelle (un palo) du flamenco andalou. Le Dictionnaire de l’Académie espagnole le décrit ainsi : « Palo flamenco con copla de tres o cuatro versos octosílabos que tiene diversas modalidades. » (Palo du flamenco composé de couplets de trois ou quatre vers octosyllabiques et ayant diverses modalités). Le tango flamenco est originaire de Cadix mais s’est développé à Séville sous une forme propre appelée « tango de Séville », la forme la plus représentative du flamenco dans cette ville. En toute rigueur, notre traduction devrait donc être, pour le titre, « La Reine du flamenco sévillan » (pour éviter de toute façon l’emploi du terme « tango » beaucoup moins connu du public francophone sous cette acception bien qu’elle soit la plus ancienne, ce qui est, du reste, un exemple de plus de l’hermétisme de cette muraille que sont les Pyrénées).

À Séville, dans le quartier typique
de la Macarena,
d’une auberge d’apparence classique
rappelant Bécquer,
dans le patio que couvre une vigne
pleine de fruits,
se réunit une foule animée
de joyeux toréros et belles Andalouses.

De la Cava sont venues des gitanes
aux crinières ombreuses ;
la Alameda a envoyé
des danseuses aux traits arabes ;
des guitaristes tirant des trilles
des cordes de leur instrument
sont venus du quartier jouxtant
la Pyrotechnie
pour voir si, comme ils disent, est bien réelle
la Reine du flamenco sévillan, Salud la Brune.

Car c’est la plus belle fille
que virent naître ces rives
qui inspirèrent à Lista et Arguijo
leurs vers les plus beaux.
Car ses deux yeux paraissent
des diamants noirs, brûlant
plus que le soleil et ses rayons
quand il passe en été près de la terre.

On entend la plaisante harmonie
d’un luth mauresque,
chacun tourne les yeux vers la belle
Salud la brune
quand elle se lance avec un grand sourire
au milieu du cercle en tendant les bras,
comme se lance sur la mer la nef
tendant ses voiles, sereine et gracieuse.

À la cadence que produit la percussion
de ses castagnettes
ornées de nœuds rouges et or,
comme si le drapeau national
avait été réduit en mille lanières,
elle se dresse, les bras en forme d’arche,
et sa taille ondoie
comme balancent les palmes d’Idumée
quand la brise les caresse,
puis elle s’incline et saisit sa robe,
l’élève contre elle, la fait ondoyer puis voler.

Ses pieds au contour menu
sur le sable du patio
par leurs chocs continus ont laissé
des empreintes confuses,
on dirait deux marteaux de fer
qui frappent la terre,
marquant le rythme de la danse
que leur impriment ses larges hanches.

Comme deux branches
dont le vent s’empare,
en suivant les courbes de son corps
ses bras font mille tours ;
mais dès que s’annoncent
les ultimes notes du chant,
leurs circonvolutions s’arrêtent, ils s’élèvent,
vibrent et puis retombent, poings sur les hanches.

L’air résonne de cris de joie,
des « olés ! » du public,
tous sacrent reine cette fille
de la Macarena,
tous ceux qui sont venus de quartiers lointains
seulement pour la voir,
et avec les lumières du jour
la fête se dissipe…

À travers les rues animées s’éloignent
en chantant les toréros et leurs amies,
tandis que l’ombre enveloppe
l’auberge typique qui rappelle Bécquer.

*

Les dimanches de Torrijos (Los domingos de Torrijos)

Ndt. Le pèlerinage de Torrijos est un événement religieux majeur de la province de Séville. C’est une fête aussi bien religieuse que « folklorique », mettant en valeur le patrimoine andalou. C’est pourquoi le présent poème entre dans un certain luxe de termes propres au flamenco, notamment, qu’il n’est guère possible de traduire. On trouvera le sens de ces termes sur les sites francophones spécialisés.

Dans le présent poème, les « pèlerins » s’arrêtent en fait à la Pañoleta, qui n’est guère éloignée que de quatre kilomètres de Séville. Là ils se livrent à des réjouissances où le flamenco joue le rôle principal. C’est ce que le poète appelle leur pèlerinage à « la déesse Zambra », la zambra étant une variété du flamenco, la plus marquée par l’héritage mauresque.

À Salvador Rueda

Les dimanches d’octobre,
en ce mois où les flammes du soleil,
bien qu’elles éclairent encore beaucoup
n’embrasent plus que peu de choses,

vers la rue Castilla
par le pont de Triana,
juchés sur des chariots
que couvrent des toiles blanches,

sur des ânes étiques,
des poulains de race pure,
des mulets éreintés,
des canassons tout en pattes,

dans des chars disloqués,
des cabriolets, des tartanes
et des breaks où ils se pressent
comme des sardines dans un panier,

se dirige ce qu’a de plus de déluré
la gente de Séville,
avec beaucoup de rire aux lèvres
et beaucoup d’amour dans le cœur.

Voir le Christ qui dans le petite sanctuaire
de Torrijos les attend,
c’est le but qui fait sortir
tous ces gens de chez eux.

Mais comme le chemin est long
et qu’il y a des côtes très rudes
que beaucoup auront du mal à gravir,
si la descente en est facile,

pour rendre moins pénibles
les fatigues de la marche,
et pour que les heures passent
dans la bonne humeur qui convient,

ils emportent des tambourins,
des castagnettes et des guitares,
une outre pour le vin
et le cruchon pour l’eau.

Le long de la route étroite
qui quittera la Vega de Triana
coupée en deux,
avec ses peupliers,

enveloppés dans les tourbillons
de poussière qui se lèvent
au passage des chars,
au contact des pieds,

les pèlerins approchent,
gravissant une côte, de Castilleja,
en pensant qu’aller à Torrijos
voir l’Image sacrée

sera quelque chose que Dieu
récompensera tôt ou tard,
mais qui ne les compense pas
d’un tel périple ;

si bien que tous se mettent d’accord
pour rester où ils sont…
à la Pañoleta
plantée d’arbres.

Sous les verts oliviers
près des haies de roseaux,
devant les auberges
au pied des acacias,

en groupes tourbillonne
la fleur des Sévillanes,
si joyeuses et souriantes,
qui dansent à la musique qu’on leur joue6.

Ce n’est que rires et tohu-bohu
sur la petite esplanade
où l’on voue un culte
à la seule déesse Zambra.

Au son des baguettes de flamenco
répond celui des guitares,
et à la percussion des tambourins
le choc des verres.

Ici l’on chante des peteneras,
là des malagueñas,
et quand l’une danse un olé,
une autre danse la palanca.

Tout le monde est joyeux,
rit et s’écrie, dans ce tohu-bohu,
car l’on voue ici un culte
à la seule déesse Zambra…

Mais quand le ciel
de bleu qu’il était devient mauve,
quand le soleil en se cachant
de ses regards l’illumine,

et qu’au loin retentit
le chant de la Giralda,
entonnant le triste Angélus
avec ses cloches de bronze,

les pèlerins qui pensaient
se rendre à l’église de Torrijos
dans leurs chars, sur leurs poulains
remontent pour retourner chez eux.

Et comme la route est sombre,
ils ont allumé des flambeaux
à la lumière desquels on dirait
une légion de fantômes

qui, la nuit bien avancée,
traverse les rues de Triana
en se dirigeant vers le pont
sous lequel moutonne le Bétis,

dans les ondes duquel le feu
des torches se reflète,
faisant paraître le fleuve
un serpent de flammes.

6 qui dansent à la musique qu’on leur joue : Jeu de mots sur l’expression « bailar al son que le toquen », qui signifie de manière figurée : dépendre des décisions prises par autrui. Les femmes du convoi ne peuvent imposer que celui-ci poursuive sa route, mais, que ce soit ici à la Pañoleta ou là-bas à Torrijos, leur principal divertissement est de danser.

*

Le Rosaire de l’aurore (El Rosario de la aurora)

Ndt. Le rite dont il s’agit se perpétue de nos jours. La « sainte église métropolitaine » est la cathédrale de Séville, plus grande cathédrale gothique au monde. Ce que nous avons traduit par « gradins », dans le premier quatrain, ce sont les gradas de la cathédrale, des escaliers monumentaux qui l’entouraient sur plusieurs côtés et dont la littérature ancienne témoigne comme d’un site fréquenté et animé. Il s’y trouvait de petites chapelles, vraisemblablement des niches fermées par des grilles. Ces gradas ont été démantelées au 18e siècle, il ne reste que des escaliers résiduels. Cependant, Alcaide parle manifestement de choses dont il a été témoin.

D’une petite chapelle
se trouvant sur les gradins
de la sainte église
métropolitaine,

depuis des siècles sort
entre chien et loup
le saint Rosaire
que l’on occulte à l’aube.

Par le passé
il était rare
que cela ne se terminât point
en bataille rangée,

au cours de laquelle les dévots
avec leurs lanternes de fer-blanc
s’escrimaient comme si ce fussent
des masses ferrées,

afin de se défendre
avec une sainte bravoure
de la lie impie
qui, dans une fureur sauvage,

le fer au vent
les assaillait,
moquant le Rosaire
de manière éhontée.

À présent c’est seulement à certains jours
marqués par l’Église
comme particulièrement solennels
que sort de sa maison

l’antique toile
où la dénommée
Vierge de l’Antique
montre son visage sacré.

La queue brillante
d’une fusée d’artifices déchire
le ciel obscur
de sa flamme rouge,

quatre instruments
désaccordés lancent
devant la chapelle
leurs notes dissonantes

en même temps qu’un vieillard
à la luisante calvitie
annonce à la foule
d’une voix chevrotante

que le Rosaire va
se mettre en branle,
et qu’on s’empare donc
sans tarder des lanternes.

Plusieurs gamins
aux yeux marqués de cernes,
huit ou dix mendiants
aux manteaux élimés,

ainsi qu’un groupe informe
où des vieillardes édentées
se confondent
avec une joyeuse

marmaille, forment
à l’Immaculée,
autour de la bannière,
un étrange cortège.

Quatre petites lanternes
au bout de longues perches,
que les dévots appellent
les guides,

vont très en avant
des autres,
dissipant les ombres
de leurs flammes ténues,

indiquant ainsi le chemin
à travers les rues solitaires
au Rosaire
qui avance en silence.

Tenant une lampe
à sa fenêtre,
une vieille femme montre
son profil de pie,

évoquant le souvenir
de celle qui par une nuit
silencieuse fut témoin
de l’héroïsme de Don Pedro.

Faisant des zig-zags
un ivrogne passe,
tandis qu’un chien pousse
un faible gémissement ;

il s’est réveillé
sur son lit de pierre
et par les lumières ébloui
se met à aboyer.

Devant une pauvre maison
d’une petite place,
où un frère
du Rosaire attend

derrière les carreaux
la Sainte Vierge
pour qu’elle lui octroie
la santé précieuse,

le cortège s’arrête
et chante un Salve,
qui au triste malade
arrache des larmes.

Il se remet en route
et traverse des places
et des ruelles,
dont il déchire l’obscurité ;

jusqu’à ce que l’église,
but de son périple,
le reçoive anxieuse
dans ses larges nefs.

Des cierges allumés
illuminent l’autel ;
un torrent de notes
jaillit des trompes

argentées de l’orgue
sonore, avec pompe :
on élève du tabernacle
le riche ostensoir,

et tandis que tous chantent
l’adoration du sacrement,
dans la lunule paraît
l’hostie consacrée.

On dit une messe ;
et à la lumière rosée
de l’aube commençante
émaillant la nuée,

parcourant des rues
et traversant des places,
le Rosaire s’en retourne
à sa sainte maison…

Très en avant
les guides marchent,
mais leurs flammes roses
n’éclairent plus

comme lors de la sortie,
car les clartés
qui descendent du ciel
estompent leur lumière.

Les passants de l’aube
qui croisent le Rosaire
font une génuflexion
à son passage.

On entend le grand bruit
que font les servantes
en ouvrant balcons,
portes et fenêtres,

et quand l’aurore
dans son char avance,
baignant toutes choses
de sa lumière d’argent,

dans la petite chapelle
qui se trouve sur les gradins
de la sainte église
métropolitaine,

le Rosaire rentre,
qu’on occulte à l’aube…
Et le carillon retentit
depuis la Giralda.

*

La rue des Serpents (La calle de las Sierpes)

Entre la place de San Francisco
et le carrefour de la Campana
se trouve l’étroite ruelle des Serpents,
la plus jolie de Séville.

D’après ce que racontent les anciens livres,
elle reçut son nom, mes semble-t-il comprendre,
du fait qu’y résidait naguère
le gentilhomme Gilles des Serpents.

Mais la voix populaire affirme
que c’est parce que naguère
s’y trouvait des ossements de grands reptiles
au-dessus de la porte d’une hôtellerie.

Quoi qu’il en soit de ces histoires,
il est certain que c’est une très belle rue,
très fréquentée, très attrayante,
très coquette, très sévillane.

*

Parmi des édifices de port antique,
façades blanches et portes ferrées,
des maisons modernes aux murs altiers
montrent joyeuses leurs balcons.

Le rez-de-chaussée est occupé par des boutiques
de beaux objets de fantaisie,
de toiles splendides, des commerces plantureux
et des vitrines de bijouterie,

des cafés brillants de marbre blanc
dont les murs couverts d’azulejos
reproduisent les lunes claires
dans leurs grands miroirs brillants,

des cercles privés dont les rideaux
laissent entrevoir les lustres suspendus,
leurs somptueux fauteuils en velours,
leurs voûtes et leurs tableaux.

Et embaumant toute la rue
du délice de leurs odeurs,
dans les porches et aux carrefours
se trouvent plaisants des stands de fleurs.

*

Au moment de la Semaine Sainte,
les processions la traversent,
et terrasses et balcons
se remplissent de beaux visages.

Devant les maisons, sur les trottoirs
on place des chaises en ligne droite,
sur lesquelles s’assoient les Sévillanes,
parées de leurs mantilles.

Car ici passent, plus solennelles
que par aucune autre rue, les Confréries
avec leurs soldats et leurs geôliers,
leurs Rédempteurs et leurs Maries,

leurs Senatus et leurs clairons,
leurs voiles de la croix et banderoles,
leurs Centurions aux splendides uniformes
et leurs Nazaréens à longues queues,

qui marchent lentement dans la rue
au milieu des psaumes,
du bruit des fanfares
et du ra des tambours.

*

Quand la Fête par sa grande renommée
inonde Séville d’étrangers,
ses cafés fourmillent de marchands,
d’agents de change et de toréros.

Et mille femmes passent
avec leurs châles de riche toile,
et aux éloges qu’on leur lance
si l’une rit, l’autre prend la mouche.

Si bien que s’échangent des répliques rapides,
où l’on fait assaut d’esprit…
tandis que les vendeurs à la criée
cherchent à placer des billets de corrida.

*

La nuit avant le Corpus Christi,
de tentures riches et variées
on tend la rue, qui semble flamboyer
sous sa cascade de lampions,

et le matin on la couvre entièrement
d’une toile cachant le ciel
tandis que des herbes odoriférantes
tapissent le sol,

car c’est là que passe en son cortège
aux accords d’une psalmodie,
avec ses pampres et ses épis,
la grande custode de Juan de Arfe.

*

L’été, on dirait un patio,
avec les fauteuils et les guéridons
que l’on sort des clubs,
et les stands de fleurs.

La cigarière trotte-menu
s’y promène, si gracieuse,
taquinant avec désinvolture
les Don Juans au petit pied.

On y voit passer les étudiants
qui vont avec leurs gros livres à l’athénée,
et avec leurs lettres d’amour
les demoiselles qui vont au bureau de poste.

Quand la messe aux armées est terminée,
les bataillons s’en reviennent,
laissant sur leur passage
les cœurs des jeunes filles transpercés.

Tous les gens, toutes les choses
de quelque réputation ou prix passent par elle,
par cette rue qui, bien qu’étroite,
vieille et sinueuse, n’en est pas moins belle.

………..

Parce que la rue la plus fréquentée,
la plus coquète, la plus sévillane
est celle qui va de la place de San Francisco
au carrefour de la Campana.

*

L’auberge d’Eritaña (La Venta de Eritaña)

Ndt. Nous avons aussi traduit un sonnet consacré par Francisco Villaespesa à ce lieu fameux de Séville (billet « Tambourins sévillans » ici).

Au milieu des bosquets d’orangers,
l’auberge la plus fameuse d’Andalousie
s’élève comme un temple de la joie
baisé par les roses de mille rosiers.

Dans son jardin de plantes méridionales,
nid des amours et de la poésie,
les pampres se tendent en galerie
et les jasmins forment des arcs de triomphe.

Couronnées de fleurs de citronnier,
entre les feuillages sont les guinguettes,
sanctuaires où vit la déesse Frairie.

C’est là que lui rendent un culte les Sévillans
et qu’en son honneur ils entonnent des chansons gitanes
au choc des verres, orchestre sacré.

*

Chansons (Cantares) [Choix]

Ndt. Un mot de ces « chansons ». Il s’agit, ici (et dans le recueil suivant : vide infra) comme chez Francisco Villaespesa (voyez les « Chants » à la fin du billet « La halte des bohémiens » x), de quatrains sur le thème de l’amour. Nous devrions chercher un même terme dans les deux billets, et c’est « chanson » qui nous paraît à présent le plus indiqué. Le terme cantar connaît en espagnol, selon le Dictionnaire de l’Académie espagnole, deux acceptions spécifiques que ne rendent à vrai dire ni le terme « chanson » ni le terme « chant ». Dans les poèmes de Villaespesa et d’Alcaide que nous avons traduits, ces quatrains suivent un genre de poésie populaire andalouse mise en musique.

I

Ce sont, mes pauvres chants,
des étoiles filantes
qui traversent le ciel de l’amour
pour mourir dans le vide.

II

Vois un peu comme brillent
tes grands yeux noirs,
car c’est printemps quand tu les ouvres
et c’est l’hiver quand tu les fermes.

VIII

Les heures que compte le jour,
je les ai réparties ainsi :
neuf heures rêvant de toi,
quinze heures à toi pensant.

X

Vois, ô vois donc,
vois comme elle était belle,
tellement que quand elle s’en fut aux cieux
même son miroir pleura.

XV

Demande à Dieu de t’épargner
d’aimer celle qui ne t’aimera pas,
car il est bien triste de semer
sans récolter ensuite.

XVII

On dit que l’amour est aveugle,
et plût au ciel qu’il le fût !
je n’aurais pas vu ta perfidie
aussi clairement que je la vis.

XXI

Depuis le jour où tu assassinas
la tendresse en mon cœur,
il porte cet écriteau :
« Fermé pour cause de mort. »

XXVII

J’offre l’amour à pleines mains
mais elles n’en veulent pas ;
combien pourtant
meurent par manque d’amour !

XXVIII

Vois si mon amour est grand :
il a résisté à l’absence,
aux intrigues, à l’orgueil,
à la jalousie et à la pauvreté.

XXIX

Ne crains pas que je t’oublie
parce qu’on ne me laisse pas te voir ;
sans le voir on adore Dieu,
et tu es Dieu pour moi.

.

Trèfle
(Trébol, 1899)

.

L’épée du poète (La espada del poeta)

Envieux, ingrats et traîtres,
femmes sans pudeur et sans tendresse,
héros de l’infamie et de la bassesse,
âmes mortes à toutes les amours !

excitent les clameurs du poète
qui dans ses strophes olympiennes
en les chantant châtie leur vilenie,
avec les honneurs de l’immortalité.

Ô épée bienfaisante et sacrosainte
qui portes ton coup bénéfique
contre la maudite écume humaine !

Ton fer n’est point inhumain ni criminel,
car il est semblable à celui du chirurgien
qui blessant ne donne point la mort mais la vie !

*

La créole (Criolla)

Carmen

Tu es née dans la perle des Antilles
et de ces lieux tu apportes en Espagne
le va-et-vient des palmes dans ta démarche,
le feu des roses sur tes joues.

Des champs de canne de Las Villas
tu as pris la douceur, et les bananiers
t’ont donné leur indolence, les mers vertes
le sel avec lequel tu séduis, tes enchantements.

Voix de sirène qui attire et subjugue
est la douce modulation de ta gorge,
magique à la manière d’arpèges de lyre grecque,

suave comme des gammes de harpe d’or,
car ton accent grave et sonore
possède le rythme mélodieux des guajiras7 !

7 guajiras : Écrit guagiras, forme non reconnue (ou coquille). Un guajiro, à Cuba, est un paysan. Le terme au féminin donne le nom d’une danse cubaine, dont s’inspire un palo (à nouveau !) du flamenco, introduit en Espagne dès le 16e siècle.

*

À l’horloge du Temps (Al reloj del Tiempo)

Quand l’ardente
jeunesse embrase
nos cœurs
de sa flamme vive,
nous voyons de la vie
l’escalier en colimaçon,
pleins d’illusions,
fous d’espérance,
désireux seulement
de gravir ses degrés,
de monter là-haut
voir où il s’arrête ;
car nous pensons
trouver dans cet escalier
des lauriers pour l’intelligence,
la constance récompensée,
les plaisirs de l’amour,
le clairon de la renommée,
le miroir de la vérité,
les pompes de l’honneur,
les liens de l’amitié,
les palmes de la vertu.
Pleins d’impatience,
de désirs fébriles,
à l’horloge du Temps
nous disons : Va !
que passent les heures,
que fuient les semaines,
que s’écoulent les mois,
les années l’une après l’autre,
des lustres entiers,
Temps, en avant, en avant !
presse ta marche,
va, va, va !
……………………….
Quand on a monté
l’escalier en colimaçon
sans trouver en chemin
ni la vertu ornée de palmes,
ni l’amour avec ses plaisirs,
ni l’honneur sans tache,
ni l’amitié sincère,
ni la vérité, ni rien,
mais qu’on voit en revanche
que la vie se termine !
à l’horloge du Temps
nous disons : Ça suffit !
laisse-moi un instant
racheter mon âme,
laisse ma prière
monter au ciel,
car cette vie est courte
mais l’autre est longue !
Temps, arrête, arrête,
arrête-toi, arrête-toi !

*

Rimes (Rimas) [1/3]

Nos têtes l’une contre l’autre,
les yeux au ciel,
nous regardions passer entre les nuages
l’immense disque
de la lune blanche.

Comme elle semblait joyeuse,
bien qu’elle eût à traverser les noires nuées !
en illuminant notre bonheur
de ses pâles rayons.

L’amour nous unissait
dans une intime étreinte ;
et tu m’interrogeais du regard,
et je te répondais par un baiser.

Puis l’absence nous sépara,
loin de moi tu t’en fus…
me laissant seul avec ma peine
et mes pensées.

Et maintenant, voyant la lune
éclatante briller dans l’azur du ciel,
elle me paraît tellement triste… !
comme si elle éclairait un cimetière !

*

Lyre andalouse : Chansons (Lira andaluza: Cantares) [Choix] (Voyez la note du traducteur aux « Chansons » supra)

Le temps a passé mais non
l’amour que j’ai pour toi ;
car un véritable amour…
ne finit qu’avec la vie !

*

Je ne sais comment je vis,
si même on peut appeler vivre
cette errance dans le monde
traînant les lambeaux de mon âme.

*

À la lumière d’une illusion
j’ai longtemps vécu ;
le désabusement l’a éteinte…
et je meurs dans la brume !

*

Qu’on me jette à la mer
quand je serai mort… !
Je ne veux pas que se mêle
la poussière de nos os !

*

Le chemin de l’amour
est plein d’épines,
nul ne s’y engage
sans en sortir écorché.

*

Comme je t’aimais pour de vrai,
pour de vrai je t’abhorre
et n’aurai de repos avant
de t’avoir vue en route pour le cimetière.

*

Je voulus être ton rédempteur,
te voyant si déchue !
mais tu cloues mon amour
sur la croix de ta perfidie.

Tambourins sévillans : Poésie de Francisco Villaespesa V

Dans l’Andalousie poétique de Francisco Villaespesa, voici un choix tiré d’un recueil consacré à Séville, Panderetas sevillanas, dont nous reprenons le titre pour celui du présent billet. Puis suivent un choix de poèmes d’un recueil posthume au Portugal, La quinta de las lágrimas.

Suite de nos traductions “Les nocturnes du Généralife : Poésie de F. Villaespesa IV” ici.

Un jardin sévillan par Manuel García y Rodríguez

*

Tambourins sévillans
(Panderetas sevillanas, 1910)

.

Âme sévillane (Alma sevillana)

Plus que le pittoresque de ton habit
et les roses qui saignent sur ta chevelure,
emperlant ses ténèbres de leur rosée,
j’aime ton âme suave de velours,

harmonieuse et légère comme ton fleuve,
claire et transparente comme ton ciel,
et qui resplendit dans les lumineux soirs d’été
avec la grâce dorée d’une asphodèle.

J’ai appris à te connaître et à aimer ton nom,
à la fois comme artiste et comme homme,
sur les lèvres parfumées d’une Andalouse

– de tous mes naufrages le havre sûr –
dont le souvenir quelques fois traverse ma vie
comme un souffle de vent dans le désert !

*

Les guitares (Las guitarras)

Guitares mélancoliques d’Andalousie,
quand en terre étrangère votre son
brode dans la nostalgie de notre oreille
des arabesques de rêve et d’harmonie,

l’imagination s’envole exaltée,
cherchant dans le patio de marbre et de fleurs
le jet de la fontaine qui en perles endormi
de ses pierreries givre les œillets.

Ainsi qu’une évasure de lumière et de splendeur,
Séville illumine nos souvenirs,
et dans son radieux ciel de printemps

se dessine la silhouette de la Giralda
dans une apothéose de rouge et réséda,
comme enveloppée dans notre drapeau national !

*

La Tour de l’Or (La Torre del Oro)

Haute tour scrutant les lointains,
le bouclier au bras et l’œil alerte,
janissaire de pierre qui avec ta lance
gardes la porte du harem de Séville !

La Croix était l’ennemie de ta force
mais, un matin, couverte de soleil,
la Vierge de l’Espérance te baptisa,
et tu pleuras la houri de tes rêves, morte…

Ton tambour adressa tes adieux
au proscrit errant qui ne t’oublie pas
et rêve encore, depuis l’Afrique, à tes rivages…

Alors, d’un coup de clairon grave et profond,
tu saluas l’arrivée des galères
qui apportaient à l’Espagne un Nouveau Monde !

*

La Giralda

Les Califes ont ceint ta tête brune
de leur vert turban de pierreries,
dans le printemps duquel la Demi-Lune
resplendissait comme un joyau d’or.

Un architecte d’Arabie a façonné ton berceau,
et, bien que tu sois Espagnole, chrétienne et pieuse,
toujours ton âme mauresque regarde vers l’Orient
quand elle adresse au ciel ses prières.

Comme esclave dans leur temple, noble sultane,
les paladins de la Croix t’enfermèrent
et te virent pleurer humiliée à leurs pieds…

Mais, je le sais, quand on sonne les cloches,
tu soupires après la voix sainte des muezzins
et c’est en pensant à Mahomet que tu pries le Christ !

*

Oued el Kébir : Le Guadalquivir (Wuad-el-Kebir)

Dans le rêve glorieux de ton cristal
tu reflétais la pompe des Califes,
et dans tes ondes les Aïchas et Jarifas
lustrèrent leurs bronzes nus triomphaux.

Par les prairies qu’émaillent les blés dorés,
tu changes tes eaux en perles et saphirs,
et à ton passage étendent leurs tapis
de velours et de soie les orangeraies.

Égrenant des kassidahs, tu traverses la plaine
et rugis en parvenant à l’Océan,
comme versant d’amères larmes

de ne point voir sur ton sein d’émeraude,
à côté de ta sœur blonde, la Tour de l’Or,
la brune nudité de la Giralda…

*

Semaine Sainte II : La Solitude (Semana Santa II: La Soledad)

NdT. La majuscule s’impose aux titres de ces poèmes, la Solitude et le Chiot, car il ne s’agit pas seulement de ces notions dans les Écritures, mais aussi des fraternités de la Semaine Sainte qui sont nommées d’après telle ou telle image représentant ces notions. Ainsi, la Solitude décrit une procession de la Fraternité de la Solitude de San Lorenzo, nommée d’après la Vierge de la Solitude dans l’église de San Lorenzo, et le Chiot une procession de la Fraternité du Chiot, nommée d’après le Christ de l’Expiration, qui se trouve dans la basilique du même nom, une image populairement appelée « le Chiot » d’après le surnom du gitan qui servit de modèle à l’artiste (ce à quoi le poème de Villaespesa fait allusion).

Cherchant Jésus-Christ, Marie s’avance
le long de la rue de l’Amertume…
La pâleur de son visage transpire l’agonie
et le sang rougit ses vêtements.

La pitié des cieux lui envoie sa lumière
et les étoiles pleurent son infortune…
Des files de pénitents encapuchonnés traversent la voie,
sur les murs projetant leur ombre obscure.

Une douleur infinie remplit la nuit ;
le vent murmure des miserere ;
les cierges flaves pâlissent d’angoisse,

et l’on entend battre un lugubre et dolent tambour…
Son roulement calme et lent évoque
les coups de marteau sur les clous !

*

Semaine Sainte IV : Le Chiot (El Cachorro)

Tu grinces en cherchant à t’arracher de la croix,
Christ de bronze et de flammes, de fumée et de cendre…
Tes yeux pleurent du sang au lieu de larmes,
et le noir de ta chevelure fait frissonner…

L’expression formidable de ta détresse,
au lieu de nous émouvoir, nous martyrise ;
l’angoisse de tes yeux, aveugles d’épouvante,
et la sueur de ton front hérissent toute la contrée.

L’artiste qui, ardent d’un zèle saint,
a taillé ton image dans le bois,
peut-être sous l’effet d’un maléfice,

a crucifié, comme modèle,
un gitan échappé d’une galère
ou des cachots du Saint Office.

*

La veillée funèbre (El velorio)

La pitié des floraisons couvre son corps,
des couronnes de lys ceignent ses cheveux,
et l’une de ces fleurs, candide, s’incline et pleure
sur le blanc cercueil de velours.

« C’était un ange ! », gémit la mère.
Des voix douces tentent d’apaiser sa douleur…
Et, parmi couplets et danses, jusqu’à l’aube
on fête le chérubin au ciel envolé !

Au doux rythme des luths,
les castagnettes rythment de fols refrains,
certaine bouche fleurie et miraculeuse

verse tout son miel en un couplet ;
à ses allègres chants, aux côtés de la Mort,
voluptueusement danse la Vie !

*

Pastora Imperio

NdT. Pastora Imperio était le nom de scène d’une danseuse de flamenco, une bailaora, de Séville. La référence, dans le poème, à « l’émeraude d’Égypte » est une allusion aux origines gitanes de la danseuse, les gitans passant pour être venus d’Égypte en Europe.

Tu as la grâce de la Giralda,
la générosité de la Tour de l’Or ;
le soleil qui torréfie les blés d’Andalousie
a fait brun le marbre de ta beauté.

La Puerta de la Carne1 t’a donné ce charme piquant ;
Triana dans ton âme a mis son âme indomptable
et l’Alcazar la royale mélancolie
d’une Arabie de rêve et de tristesse !

Quand tu danses, créant de nouveaux sortilèges,
et que tu pâlis sous tes boucles noires,
quand l’émeraude d’Égypte de tes grands yeux

brille plus mystérieusement encore,
ce n’est pas toi qui danses… Séville danse,
car Séville s’appelle Pastora Imperio !

1 Puerta de la Carne : « Porte de la viande », nom de l’une des anciennes portes ouvertes dans les murailles de Séville, et du quartier qui la jouxtait. Je n’ai pas d’informations sur les origines de ce nom, dont on peut penser qu’il provient d’activités de boucherie.

*

Le patio sévillan (El patio sevillano)

Derrière la grille ouvragée aux vieilles ferrures,
voici le patio sévillan couvert de fleurs
qu’émaillent et ornementent les azulejos,
que parfume et réjouit le jet d’eau d’une fontaine.

Tout possède une vague verdeur de miroir,
idéalisant les formes et les couleurs,
et le soleil en les baisotant donne à ses reflets
des langueurs d’yeux rêveurs.

Patio des idylles sous la lune,
où les paroles elles-mêmes acquièrent
une odorante suavité de velours !

Heures d’audace et de rougissements
où l’amour a quelques fois dans les yeux
des étoiles d’argent, comme le ciel !

*

Carmen la cigarière (Carmen la cigarrera)

Tapies dans l’ombre des cils,
ses pupilles obscures et sensuelles,
rapides et traîtresses, s’enfoncent comme des poignards
au tréfonds des entrailles.

À cause de ses haines, de ses colères,
les prisons se peuplent de criminels
et les tromblons retentissent dans les garrigues
sur la crête des montagnes !

Perles noires, qui enferment dans leur orient
tout le venin mortel des serpents !
Pour baiser ces yeux, je me fis assassin,

et Ceuta m’attend dans ses vieilles oubliettes !
Malheur à toi si tu croises sur ton chemin
les pupilles de Carmen la cigarière !

*

Le manzanilla (La manzanilla)

Vin des amours et de la joie,
à l’odeur d’œillets et de soleil ambré,
que les brunes houris ont vendangé
dans les vignes d’or d’Andalousie !

Que les guitares t’offrent leur mélodie
à l’ombre fleurie des tonnelles ;
on te récolta dans des barriques de baisers
et l’on te vide en timbales de pierreries !

Notre chair flamboie comme les œillets
et l’âme traverse des paradis enchantés
car en goûtant les parfums qui sont dans tes douceurs

il nous semble boire, à chaque verre,
sur les lèvres de feu d’une Andalouse
tout l’or parfumé du soleil d’Espagne !

*

Les baraques (Las casetas)

Sous le dais fleuri des baraques,
Andalouses brunes comme des gitanes,
coiffées de mantilles avec leurs peignes,
dansent allègrement les Sévillanes.

Elles tournent en cadence, comme des girouettes,
s’enlacent et se confondent comme des lianes,
et, avec un soupir, parfois s’immobilisent
dans la fatale mollesse des sultanes.

Arquant leurs bras, elles tournent, rapides ;
avec des rythmes de palmiers se balancent ;
il phosphore dans leurs yeux un étrange éclat,

et tandis que les guitares soupirent d’amour,
dans leurs mains trémulantes claquent
les sonores castagnettes en bois de grenadille !

*

L’auberge Eritaña (La venta Eritaña)

Jardins enchanteurs et rêveurs
de l’auberge Eritaña, qui à Séville
ne s’est enivré d’amours et de manzanilla
en respirant le poison de vos fleurs ?

Les joueurs de guitare brodent avec leurs instruments
une dentelle rythmique, la séguedille,
et derrière les arabesques de la mantille
occultés, les yeux parlent d’amour.

Les castagnettes résonnent, les chants vibrent ;
le clair de lune effeuille ses fleurs d’oranger
et la brise a la saveur des baisers et du miel…

Dans un sylvestre enchantement,
parmi les chants et les coupes, les baisers et les rires,
la fête va son train jusqu’au point du jour…

*

Le séducteur de Séville (El burlador de Sevilla)

NdT. El burlador de Sevilla est une des appellations de Don Juan. Ce nom apparaît dans le titre de la pièce de Tirso de Molina, El burlador de Sevilla y convidado de piedra (1630), diversement traduit en français par « L’abuseur », « Le trompeur » ou « Le séducteur de Séville et l’invité de pierre ». Les termes « abuseur » et « trompeur » sont sans doute un peu désuets aujourd’hui dans le sens d’un homme qui « abuse » de la crédulité des femmes pour obtenir leurs faveurs, autrement dit un séducteur, terme que j’ai donc préféré, même s’il n’a pas toujours en français le sens dépréciatif de burlador en espagnol, dans cette acception.

Mañara2 traverse, altier, Séville,
enveloppé dans sa longe cape incarnadine,
la main appuyée sur la garde de son épée,
et la plume de son chapeau, flottant.

Sa lame vient d’étendre un rival à ses pieds,
et les lèvres d’une veuve l’attendent
derrière la grille mauresque, sublimée
par toutes les étoiles d’un jasmin !

D’invisibles cloches sonnent leur complainte.
On entend une rumeur de pas cérémonieux,
et dans l’ombre un chien hurle, épouvanté.

Alors le séducteur voit dans la ruelle,
parmi cierges, répons et pénitents encapuchonnés,
passer devant lui son propre enterrement !

2 Mañara : Parmi ceux qui ont cherché une figure historique derrière le mythe de Don Juan, certains ont cru trouver celle du chevalier Miguel de Mañara, qui se fit moine. On retrouve le nom de Mañara dans le poème suivant. (Voyez aussi, dans le poème introductif de Campos de Castilla d’Antonio Machado, le vers « Ni un seductor Mañara, ni un Bradomín he sido ».)

*

Médaillons IV : Alfredo Blanco (Medallones IV: Alfredo Blanco)

NdT. Alfredo Blanco, poète (1882-1920).

Tu es en même temps bronze et carrare,
bronze antique d’Orient, marbre latin,
et quoique moderne tu as, comme Mañara,
le sang d’un Andalou, l’âme d’un Florentin !

Je ne connais pas de parole plus fraîche et claire
que celle que tu vas chantant sur ton chemin…
Pour éclairer les nuits de ton Sahara,
qui t’a donné sa lampe d’or ? Aladin !

La souplesse des palmiers, la pâleur des olives
dans tes vergers lyriques croissent altièrement…
La vigne et l’oranger te prêtent leur saveur

et l’âme de Séville te conféra son essence,
agile et voluptueuse comme l’Arabie,
élégante et raffinée comme Florence !

*

Les fleurs d’oranger (Los azahares)

Le ciel bleu brodé d’or et d’argent
semble être le manteau de la Vierge du Carmel…
Parmi les fleurs la sérénade s’effrange,
laissant sur toute chose une vague saveur de larmes.

Avec des timidités d’enfant, un chant furtif
Sur une barque errante cache sa voix…
La lune délie ses tresses dorées
et le jet de la fontaine répand en perles son enchantement.

La brise et les parfums feignent des querelles ;
le lit de la rivière murmure d’amour…
Et dans les blancs et silencieux clairs de lune,

s’offrant aux baisers des étoiles,
voilà que dénudent la délicatesse de leur blancheur,
comme les seins d’une jeune épouse, les fleurs d’oranger.

*

Les oranges (Las naranjas)

Entre les vertes ramures ton or brun
évoque à ma nostalgie la peau soyeuse
d’une odalisque immobile dans la luxuriante
pénombre d’un bain agaréen parfumé.

Je respire tes fragrances avec délices,
et ma main tremble en t’ouvrant, avide,
comme si elle dénudait voluptueusement,
hors de son caftan de flammes, la fleur d’un sein.

Rompu le voile de son cloître,
l’or vif de ta douceur répand
un parfum de chairs, qui m’empoisonne…

Et dans la soif infinie de mon désir,
sur mes lèvres chaudes je te savoure,
telle que la bouche de ma brune !

*

L’appel pendant la sieste (El pregόn de la siesta)

Dans l’air il se respire des torpeurs de pavot ;
les oreilles sont des ruches à bourdons ;
le lierre en rêve s’effeuille
et même le jet des fontaines dort.

L’âme fond comme de la cire ;
les pupilles sont de noirs puits d’oubli ;
la vie tout entière se dissipe en fumée,
nos sens tombent en poussière…

On traverse des souterrains… Mais tout à coup
s’effondre l’alcazar d’ombres
et la lumière du jour à nouveau nous éblouit.

Une voix cristalline, comme l’eau courante,
dans les rues assoupies annonce
le miel sanglant et frais des pastèques !

.

Bailaoras en el Café Novedades de Sevilla,
par Joaquín Sorolla, 1914
Rosita, par Ignacio Zuloaga, 1913

*

L’enclos des larmes
(La quinta de las lágrimas, textes de 1919)

.

NdT. Ce recueil posthume consacré au Portugal tire son nom des jardins de Coimbra, la Quinta das Lágrimas.

.

Le Guadania (El Guadania)

Ainsi que coule le Guadania
sous les arches du pont,
mes souvenirs s’en vont
jusqu’à la mer où ils se perdent.
(Est-il vrai que tu fus à moi
et que je t’ai perdue à jamais ?)
Tout est passé dans ma vie,
en silence et fugacement,
ainsi que coule le Guadania
sous les arches du pont.

*

Nocturne sur le Tage (Nocturno sobre el Tajo)

La blancheur du clair de lune
se reflète dans le Tage…
Les hommes sont si loin,
et les étoiles sont si près
que, comme des poissons d’argent,
nous pourrions les attraper
en plongeant seulement
la coupe de nos mains dans l’onde.
Pour se cacher dans tes yeux,
l’amour ferme tes paupières,
et l’âme, pour me donner un baiser,
monte à la fleur de tes lèvres.
Ta beauté est plus blanche
que le clair de lune sur le Tage.
Les hommes sont si loin
et les étoiles sont si près !

*

La légende de Don Sébastien (La leyenda de Don Sebastián)

À la conquête de l’Afrique
partit le roi Don Sébastien.
Il partit pour l’Afrique et ne revint pas,
et cela fait plus de quatre siècles.
Les vents l’ont raconté
aux vagues de la mer,
et les vagues sur les plages
n’ont plus arrêté de le gémir :
« Se battant comme un lion,
le roi Don Sébastien est mort !
Les sables du désert
lui font un linceul, un tombeau !… »
Tous confirment sa mort,
tous hormis le Portugal,
qui rêvant à son retour
n’a jamais cessé de l’attendre…
À chaque navire qui passe,
il tremble d’agitation :
« Voilà le navire triomphant
sur lequel revient Don Sébastien. »
Comme tu peux être romantique,
ô cœur du Portugal !
C’est pour cela que je t’aime tant !
Mon cœur est pareil,
il ne cesse d’espérer
quelque chose qui n’arrivera jamais !

*

Les Hiéronymites (Los Jerόnimos)

Église des Hiéronymites,
oraison pétrifiée
qui sur les bords du Tage
élèves une race au ciel…
Église des Hiéronymites,
panthéon des Lusiades,
de poètes et de guerriers,
dont la lyre et l’épée
conquirent les nouveaux mondes
sur la terre et dans les âmes.
Don Sébastien, Herculano,
Camoëns et Vasco de Gama,
Albuquerque et Jean de Dieu…
reposent pour l’éternité
sous la sphère armillaire
qui orne tes arcades.
Mais dans ce cimetière
manque l’ultime Lusiade :
Antonio Nobre, le poète
le plus triste de notre race.
Sa mère fut la Saudade
et son père la Nostalgie…
C’est le Portugal fait ïambes,
c’est le Portugal fait larmes !

*

Paço d’Arcos

Dans sa nouvelle robe,
à l’ombre d’un oranger,
sur le quai de la gare nous dit,
agitant son mouchoir, au revoir
cette belle fille
qui s’appelle Paço d’Arcos,
brune et parfumée comme
le pain à peine sorti du four.
Petite mandarine
qui dans l’or de ses quartiers
apporte fraîcheur, parfums et miel
au voyageur oppressé
par la soif, le soleil et la poussière
d’un soir de printemps…
Mouchoir qui blanchoie dans la verdure
comme pour dire : « Reviens vite,
j’attendrai ton retour
pour sécher tes larmes
et parfumer tes lèvres… »
Accorde-moi une trêve, ô Destin…
Ne pousse pas plus avant ma barque
et laisse-moi, un soir
– je ne sais quand ni comment –,
abandonnant tout,
retourner à Paço d’Arcos…
Que dans l’une de ces maisonnettes,
parmi les fleurs et les orangers,
je me retire avec mes souvenirs
pour en me souvenant
pouvoir sourire à l’Espérance
une dernière fois.

*

Le fado triste (El fado triste)

Tout ce que j’avais,
à cause de toi je l’ai perdu ;
et je ne peux plus vivre à présent
ni avec toi ni sans toi.

Avec toi car à tes côtés
il est impossible de vivre,
et sans toi car je meurs
quand je suis loin de toi !

*

Nocturnes de Lisbonne (Nocturnos de Lisboa)

Ruelles de l’Alfama,
l’Alfama et la Maurerie3,
étroites et tortueuses
comme une mauvaise vie,
où le crime et le vice
donnent rendez-vous à la misère,
avez-vous des âmes de prostituées
et le cœur d’un joueur de fado ?
Seul le clair de lune
vous rédime et vous purifie.
Dans votre silence, alors,
quatre siècles ressuscitent
et vont au pied de la cathédrale
prier à genoux
pour tant de crimes qui
vous ont laissées couvertes de sang.
Ruelles de l’Alfama,
l’Alfama et la Maurerie.
Mon âme est en lambeaux
et j’ai honte de cette vie
d’ignominie que je traîne…
N’y aura-t-il pas un joueur de fado
pour m’arracher le cœur
au coin d’une rue ?

3 L’Alfama et la Maurerie : « La Alfama y la Morería ». L’Alfama est l’ancien ghetto juif, ou juiverie, de Lisbonne et la Morería l’ancien quartier maure, dont je transpose purement et simplement la dénomination espagnole en français, bien que le mot, contrairement à « juiverie », ne soit pas attesté dans nos dictionnaires et seulement dans le nom propre de quelques lieux-dits, ce qui indique d’ailleurs d’anciens quartiers mauresques en France également.

*

Rosier de feu (Rosal de fuego)

De ce rosier que nous avons planté
un beau matin d’avril,
les roses furent pour toi,
les épines pour moi !
Et je l’arrosai de mes larmes,
le fit éclore par mes soupirs,
et c’est mon sang qui colora
ses roses de carmin…
Ce rosier que nous avons planté
un beau matin d’avril !

*

Marguerites d’argent (Margaritas de plata)

Au bord du fleuve,
cette nuit de printemps
aux feuilles d’une étoile
demande si tu m’aimes.
« Beaucoup ?… Un peu ?… Pas du tout ?… »,
murmure-t-elle d’une voix très douce…
La marguerite du ciel
s’effeuille et ne répond rien…
Puisque toi-même ne le sais pas,
que pourrait bien répondre l’étoile ?

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La maisonnette (La casita)

La blancheur de la maisonnette
dans la verdure du jardin,
avec toutes les roses d’avril
s’ouvrant sur les balcons !
Et une petite bouche très douce
qui veut nous sourire,
comme pour dire : « Voyageur,
frappe à la porte, je t’ouvrirai ! »
Si l’amour vit en ce monde,
c’est ici qu’il doit vivre !

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Évocations (Evocaciones)

La fontaine du souvenir
est une fontaine bien amère,
car ce sont nos larmes
qui l’ont formée dans la poitrine.
Homme altéré, en elle ne cherche pas
à étancher la soif qui te consume,
car ses eaux, au lieu de désaltérer,
augmentent la soif !