À ma veuve : Poèmes

La veuve

Quels fers voulais-tu donc me passer par amour,
Quelle porte fermer sur nous à double tour,
Quelle geôle apprêter pour mes élans rebelles ?
Ces fers, ce sont les maux, les tracas, les querelles,
Cette geôle est le monde où nous voulons briller,
Ce monde, un lamentable et sale poulailler.
Tu voulais être heureuse avec moi dans la boue,
Les larmes ont coulé de tes yeux sur ta joue.
Tu voulais avec moi cueillir de belles fleurs,
Tes mains couvrent le sel sur ton visage en pleurs.
Tu voulais partager avec moi cette vie,
Mon âme refusa d’être à rien asservie.
Dans l’hymen tu voulais l’avenir radieux,
Ton amour te fait mal et tu baisses les yeux.
Tu voulais que je sois un gendre pour ta mère,
Tu manges ton chapeau de fine soie amère.
Tu me voulais à table à charmer tes parents,
Ils ne peuvent guérir tes sanglots déchirants.
Tu me voulais à table à siroter la fine,
Le ventre bien calé, la grimace porcine,
Mais moi je ne voulais que mourir dans tes bras,
Tué par je ne sais quels brigands scélérats.
Frustré de l’idéal d’une veuve éternelle
En mantille tétrique et pénitentielle,
Sublime de douleur à cause de ma mort,
Je me vis te frapper au cœur d’un coup si fort
Que tu fus admirable en raison de ma haine.
Et je ne portai point ta bienveillante chaîne.

*

El padre

Depuis toujours, je crois, je voulus être prêtre
Et c’est, je crois, pour ça que je t’envoyai paître.
Car comment expliquer, autrement, le parti
Que je pris contre nous, bien qu’ayant consenti
D’avance à tout le bien et le mal d’une chaîne ?
Et comment expliquer que je causai la peine
La plus impardonnable à mes yeux, sans ciller,
Après m’être promis de toujours te veiller ?
Quand tout mon rêve était cette douce alliance,
Où pouvait se terrer en moi la méfiance
Que je trahis, frappant ton cœur d’un coup brutal ?
T’abaissant d’un si haut et si beau piédestal,
Comment pus-je trahir de si noires pensées,
Qui jamais devant moi ne s’étaient confessées,
Si ce n’est qu’un amour plus grand que notre hymen
Et plus impérieux me défendait ta main ?

*

J’aurais voulu mourir, pour que tu sois en deuil.
Pourquoi la plénitude, entière, dès le seuil ?
Je ne pouvais pas croire, en te voyant sensible,
Qu’un plus grand agrément ou bonheur fût possible
Que celui dont j’étais par ton amour comblé.
Et comme cet état de trouble inégalé
Appelait une crise, ignorant la nature,
Je ne voyais, frappé par cette conjecture,
D’autre couronnement au bonheur que la mort.
Et je suis convaincu que je n’avais pas tort :
Rien d’autre ne pouvait être aussi souhaitable,
Car t’aimer davantage était inconcevable.
Puisque, donc, quelque chose allait nous arriver,
Si je ne mourais pas, on viendrait me priver,
Ne fût-ce qu’au moyen du moindre défalquage,
De la totalité que j’avais en partage.

*

L’épave 

Plonge avec moi, Philis, allons voir dans l’abîme
L’épave sans éclat de notre amour sublime.
C’est dans les fonds obscurs d’un océan glacé
Qu’elle gît, là que dort notre amour trépassé.
Où traînent les débris du butin de la pieuvre,
C’est là qu’on peut chercher, à l’abandon, notre œuvre.
Dans les fonds ténébreux où chassent les requins
Pourrissent lentement nos rêves arlequins.
Toutes voiles dehors, la nef allait vers l’île
Des bienheureux, mais c’est maintenant un fossile
Que les varechs grouillants recouvrent de leurs glus.
Plonge avec moi, Philis, et ne remontons plus.

*

Je voulais que tu sois ma veuve

Je voulais que tu sois ma veuve, refermée
Sur notre souvenir, de douleur abîmée,
Que coulent de tes yeux noyés sur mon tombeau
Tes larmes, la plus pure offrande, et que cette eau
Creuse la pierre froide à force de souffrance,
Que tu ne sois pour tout autre qu’indifférence,
Traversant le néant avec du crêpe aux doigts,
Comme une ombre à qui parle un fantôme sans voix,
Que coulent de tes yeux sur ta joue adorée
Des bris de diamant, sur ta lèvre éplorée
Des éclats de ton cœur glacé de désespoir,
Traversant cette vie absurde sans rien voir.
Je voulais que tu sois ma veuve, que ta bouche
N’ait plus aucun baiser, que plus rien ne la touche
Que le sel dévorant, brûlant de ton malheur,
Que tu ne sois pour tous qu’un objet de terreur,
De respect trop profond, dans leur peine inquiète,
Pour oser regarder quand tu passes, muette,
Que tu ne vives plus qu’en cierge pour mon nom,
Que tu sois sur ma cendre un constant lumignon,
Que tes jours soient un feu consacré dans le temple,
Et que ton œil perdu dans le vide contemple
Le désastre produit par un funeste écueil,
Mesure à chaque instant l’inouï de ton deuil,
L’énormité sans nom de cette horrible perte
Après que tu te fus à mon bonheur offerte.
Je voulais que tu sois ma veuve, et ce depuis
Qu’un rire de ta joie obnubila mes nuits.

*

À ma veuve

Ce qui ne passe pas avec le temps est fort,
Je dois le diamant de ton cœur à la mort.
Ta beauté, devenue une tombe de marbre,
Attachée à ce sol comme l’ombre d’un arbre,
Comme un ange de pierre entrelaçant ses mains,
Sacrifie au passé de vides lendemains,
Et dans ton souvenir obstiné de statue
Le bonheur d’être aimée, en me pleurant se tue.
Tous les chemins brumeux de ton malheur fervent
Mènent à ce sépulcre enveloppé de vent
Où ta forme, de deuil couverte, est prosternée
Et ton âme vêtit ta lumière fanée.
Qu’un rayon de soleil éblouisse ton œil,
Tu ne vois point le jour au travers de ce deuil.
Qu’un doux parfum de rose embaume la nature,
Tu ne sais pas quitter des yeux ma sépulture.
Qu’un enfant, plus timide et doux qu’une souris,
Passe, il ne voit qu’une ombre, et pourtant tu souris.
Ô de tous les cyprès de ce funèbre asile,
Ton ombre solitaire est le plus immobile.
Dans l’abîme où je vois ton destin se jeter,
Mon souvenir t’apprend le moyen de flotter ;
Et dans le tourbillon de chagrin qui t’emporte,
Ta vie inconsolable est une feuille morte.

*

Hélas, si j’avais pu, Philis, croire à la vie,
La vie après l’amour, je vous aurais suivie
Par tous les accidents et contrariétés
Que réserve ce monde aux amants transportés.
Mais je ne pouvais croire au bonheur sur la terre.
Devant votre beauté j’aurais voulu me taire,
Et je chantai ; pourtant, qu’avait pour votre cœur
Ce chant, sinon un rêve abritant la douleur ?
Comment aurais-je pu, Philis, vous rendre heureuse,
Dans ma mélancolie innée et douloureuse ?
Me pardonnerez-vous d’être mort dans le feu
Comme le papillon qu’il aveuglait ? – Adieu.

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