Cinq poèmes

En attendant la publication de mon prochain recueil sur ce blog, voilà cinq poèmes qui devraient en faire partie.

*

Layla, que ta main en son creux porte l’eau
Qui, dans la hamada sans fin, sauve l’agneau.

Que ton nom, Layla, couvrant le vent des dunes,
Soit comme le silence heureux de blanches lunes.

Layla, que tes yeux, dans la profonde nuit,
Soient comme le flambeau d’où l’amertume fuit.

Layla, que ton cœur à cet amour éclose,
S’il manque à ton bonheur le parfum d’une rose.

Que ton cœur, Layla, quand viendra le printemps,
Couvre de mille fleurs la rive des étangs.

Layla, que ta voix, dans le grand labyrinthe
De vent, guide l’agneau dont t’invoque la plainte.

Que ta voix, Layla, puisque je dois partir,
Chante, et je l’entendrai chanter dans le zéphyr.

Layla, que l’amour dont je vis me rachète ;
J’étais comme le vent qui sur les flots se jette.

*

Où te cacher, mon cœur, pour que la foule atroce
Ayant pour le malheur un appétit féroce
Ne devine le sang de ta plaie ? Où mourir
Si je dois le silence à ton dernier soupir
Et qu’en tous lieux les ris méchants des fous résonnent ?
Où vivre, avec ton mal ? Mes forces m’abandonnent.
Où vivre, avec ta peine ? Un si grand désarroi
Me transforme en statue et je demeure coi.
Où vivre, avec ta mort ? Sous cette forme humaine
S’est ouvert un abîme, et c’est une ombre vaine
À qui l’on croit parler et qui de loin répond,
Depuis l’inanité d’un cénote sans fond.
Avec ta mort où vivre ? À quelle fantaisie,
Dans cet effondrement, cette paralysie,
S’accrocher quand les murs sont couverts de ton sang ?
Et quand l’on me dira qu’il faut tenir son rang,
Que répondrai-je alors à si belles paroles ?
Pour ta douleur sans nom tous les mots sont frivoles,
Les encouragements âpre dérision.
Depuis ce jour fatal de la collision
De vœux désespérés, tu te traînes sordide
Vers l’ombre de ta fin et je fais, invalide,
Comme si j’avais tout mon vouloir, comme avant,
Sachant que m’abattra le premier coup de vent.
Allez ! ce sera beau de voir sur la chaussée 
Tomber ce mannequin et s’ouvrir, défoncée,
Sa carcasse futile, où l’on croyait un cœur
Vivant, mais ce n’était que cendre sans couleur.
Où vivre, avec ton cri mourant dans ces ruines,
Ton éploré fantôme embrassant des épines ?
Quelle vie en ce gouffre horrible et ténébreux ?
Allez, ce sera beau comme un amour heureux !

*

Quand j’étais mort d’amour et que, le cœur brisé,
Je marchais sous un ciel de plomb carbonisé,
Ce jour où, gravissant la côte solitaire
Que les murs des jardins couvraient comme un suaire,
Le néant de la vie en moi se proclama.
L’impossibilité d’un rêve m’alarma ;
Je sus, gelant mes pleurs au-dedans de moi-même,
Que je ne pourrais pas lui dire que je l’aime.

Quand j’étais mort d’amour et que mon cœur saignait,
Quand je n’étais qu’une ombre éteinte et qui feignait
De garder la lumière où se chauffe l’espoir,
Lampe de verre obscur dont le foyer est noir,
Quand j’étais mort et vous, ô témoins de mes gestes,
Prétendiez voir la vie en ces ultimes restes
D’un courant dissipé, d’un souffle évanoui,
N’étais-je pourtant pas plus vivant qu’aujourd’hui,
Quand j’étais mort d’amour, alors que tout s’efface
Et que j’ai dans la nuit, sans son amour, ma place ?

*

Vous ne me croyez pas quand je parle d’amour
Comme de ce chemin que l’on fait sans retour,
Comme si l’on pouvait vouloir finir sa vie
Quand notre piété n’est pas d’effet suivie :
Vous jugez sans valeur ma définition,
Pour vous l’amour n’est point chose de passion.
Qui vous donnerait tort ? Tout s’arrange à merveille,
Que viens-je importuner de ma voix votre oreille ?
Pourtant, ce goût de mort à ma lèvre est réel.

Ça passe, dites-vous, c’est superficiel,
Un peu d’expérience efface l’amertume.
La nature a bon sens, cette peine est l’écume
Que dissipe un retour au monde pondéré.
Pourtant, ce goût de mort ne s’est pas altéré.

Les brises du printemps, un repas agréable
Savent charmer l’esprit par leur concours aimable
Et le désabuser d’un futile chagrin.
Pourtant, ce goût de mort est pour moi loi d’airain.

Il n’est guère de maux qu’un peu de temps ne soigne ;
Il guérit les amants dont l’être aimé s’éloigne
Et présente à nos sens d’autres objets plus doux.
Pourtant, ce goût de mort est moins fourbe que vous !

*

Je te chante l’agneau mais tu vois de la viande.
Je veux toucher ton cœur, c’est ta panse gourmande
Qui répond que c’est beau ; ton cœur, lui, n’entend rien.
Je veux toucher ton âme, et ton sac dit : c’est bien.

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